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Le spectacle commence par une phrase inscrite au devant de la scène et masquant le décor : « Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus ». Ce sont les derniers mots du huitième chapitre de la troisième et dernière partie du roman de Gustave Flaubert Madame Bovary. Emma vient d’avaler de l’arsenic, elle se tord de douleurs, son mari a appelé un prêtre dont la voix ne couvre pas la voix chantante venant de la rue, Emma reconnaît la voix, « L’aveugle » s’écrit-elle puis elle se met « à rire, d’un rire atroce, frénétique désespéré »écrit Flaubert avant de se tordre et de mourir. Deux chapitres suivront jusqu’au départ de Mademoiselle Bovary (la fille unique d’Emma et de Charles) chez sa grand-mère. Trois médecins se succéderont à Yonville après la mort de Charles Bovary, tous « battus en brèche » par le pharmacien Homais qui de « fait une clientèle d’enfer » et, derniers mots caustiques du roman, « vient de recevoir la croix d’honneur ».
Mais cessons de citer le texte roman dont s’inspire le spectacle, si Homais et les autres sont là à l’exception de l’enfant du couple, tout se passe dans un cirque ambulant dont apparaît la structure demi circulaire. Madame Bovary ne s’est pas suicidée, mi-égarée, mi-en mal d'émancipation, elle est devenue la vedette d’un cirque leambulant qui, par des voies circassiennes, raconte sa vie. Difficile de ne pas penser au film Lola Montès de Max Ophuls, l’une des sources revendiqués de Christophe Honoré. Difficile de ne pas avoir en tête aussi le sublime roman de Flaubert. Dans le cirque de Bovary madame, chaque épisode de la vie d'Emma est un numéro. Le Monsieur Loyal du film devient une madame Loyale chez Christophe Honoré (formidable Marlène Saldana). C’est elle qui orchestre les numéros où se succèdent les principaux personnages du roman, du marchand Lheueux (Stéphane Roger) auprès de qui Madame Bovary achète tant et plus jusqu’à acculer son mari à la ruine, à Homais (Julien Honoré) le pharmacien chez qui Emma envoie Justin (Nathan Prieur), devenu garçon de piste pour noyer ses larmes et son sentiment de culpabilité d'avoir volé une poignet d’arsenic, sans oublier bien sûr Léon (Davide Rao), le premier amant qui n’en fut pas tout à fait un dans un premier temps, s’en alla à Paris avant de revenir et de le devenir, et Rodolphe (Harrison Arévalo) l’amant avec lequel Emma aurait voulu s’enfuir et qui la laissera tomber comme un fruit trop mûr, Rodolphe, présentement lanceur de couteau du cirque ayant pour cible le corps paré de blanc et sublime de la Bovary. Ou encore la terrible opération du pied bot d’Hippolyte le garçon de l’auberge du Lion d’or et bien sûr l’infortuné Justin. Et enfin Charles, l’éperdu et infortuné mari d’Emma (Jean-Charles Clichet), clown malgré lui Les principaux épisodes du roman sont là cirquisés si l’on peut dire, dans une scénographie ( Thibaut Fack) qui sait ménager ses lignes de fuite subtilement éclairées par Dominique Bruguière.
Vedette débutante et cependant brillante du spectacle de cirque, malmenée ou instrumentalisée par ses partenaires au métier affirmé, en femme esseulée aux rêves en berne, Ludivine Sagnier-Madame Bovary traverse le spectacle en blonde funambule, fille de l’air dans un univers de terriens avides au cœur plus ou moins sec.De Françoise Hardy à Gérard Manset, de Michel Sardou à Nicole Croisille, la variété française met du liant.
En laissant de côté le texte de Flaubert, en en inversant le titre et en jouant à fond le jeu de la fausse bonne idée du cirque qui a tôt fait de s’essouffler, tous comptes faits, Christophe Honoré donne aux spectateurs l’envie de lire ou de relire Madame Bovary, livre dont chaque page recèle un trésor.
Un jour, au milieu du roman, Emma se retrouve au théâtre. Elle oublie Charles, son mari qui l’accompagne. Elle ne voit que l’acteur. « Il devait avoir, pensait-elle, un intarissable amour, pour en déverser sur la foule à si larges effluves. (…) Ils se seraient connus, ils se seraient aimés! Avec lui par tous les royaumes de l’Europe, elle aurait voyagé de capitale en capitale, partageant ses fatigues et son orgueil, ramassant les fleurs qu’on lui jetait (…). De la scène, tout en jouant, il l’aurait regardée. Mais une folie la saisit : il la regardait, c’est sûr! Elle eut envie de courir dans ses bras pour se réfugier en sa force, comme dans l’incarnation de l’amour même, et de lui dire , de s’écrier : « Enlève-moi, emmène-moi, partons !A toi, à Toi! Toutes mes ardeurs et tous mes rêves ». Flaubert va à la ligne et écrit : « Le rideau tomba. ». Comme une guillotine.
Au devant des gradins vides du cirque, les acteurs, justes mais ans éclats, saluent. Venue de loin, Ludivine Sagnier semble comme entourée par cette « immensité bleuâtre » que Flaubert associe à la passion. Vite rentrons et ouvrons Madame Bovary. Quel livre immense !
Théâtre de Vidy-Lausanne jusqu’au 8 oct, du mar au ven à 19h30, sam 15h , dim 14h
Tournée : 15-18 oct Comédie de Clermont, 5 et 6 nov Quartz de Brest, du 12 au 22 nov TNB de Rennes, 2 et 3 déc Coursive de la Rochelle, 9 et 10 déc scène de l’Esssone à Evry, du 17 au 19 déc Bonlieu Annecy, du 7 au 15 janv aux Célestins de Lyon, du 21 au 24 janv au Tandem de Douai-Arras, les 30 et 31 janv au Quai d’Angers, du 6 au 11 fév au Mixt de Nantes, les 26 et 27 fév Scène sud Aquitaine à Anglet, du 12 au 15 mars au Théâtre de Nice, et du 20 mars au 16 avril au Théâtre de la ville, Paris.