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Autour d’une grande table carrée sur laquelle traîne des restes de paquets de biscuit et un livre (en français) rassemblant la correspondance entre Tchekhov et Lydia Mizinova ( le modèle de sa future pièce La mouette) -un ouvrage traduit par Nicolas Struve dont ce dernier fit un excellent spectacle- ont pris place au premier rang, parmi les spectateurs, cinq actrices, Clarissa Korovsky, Marcela Guerty, Paula Fernandez MBarak, Muriel Sago et Romina Padoan.
Soit Arkadina, la grande actrice moscovite venue en villégiature à la campagne dans la propriété familiale où vit son fils Constantin Treplev dit Kostia, qui se tient à sa gauche. Kostia qui veut écrire des choses nouvelles et au début de la pièce (mais cela n’apparaît pas dans Glaviota), il fait jouer sa première pièce par la jeune Nina ( dont il est amoureux) qui vit non loin et veut devenir actrice. Nina est assise, de l’autre côté de la grande table rectangulaire, en face d’Arkadina, non loin de Macha celle qui, dès la seconde réplique de la pièce, dit « Je suis en deuil de ma vie. Je ne connais pas le bonheur » (mais cette réplique n’apparaît pas non plus dans Glaviota). Quant à Trigorine, l’écrivain connu ( dont Kostia n’apprécie guère les écrits), le compagnon d’Arkadina dont Nina ne va pas tarder à tomber amoureuse (et lui avoir le béguin pour elle), il se tient seul sur un troisième côté. Tous ces rôles sont donc interprétés par les cinq excellentes actrices sus nommées.
Avant que cela ne commence dans un effort méritoire de s’exprimer dans un franco-espagnol partiellement incompréhensible, le metteur en scène argentin s’est adressé au public. On comprend que la pandémie est passée par là. Mais l’idée de monter la pièce de Tchekhov avec ces cinq actrices était déjà là, un double désir visant aussi à faire de Macha un personnage plus central qu’il ne l’est dans la pièce. De fait, ces cinq personnages et ces cinq actrices sont logés à la même enseigne : ils ne bougent pas de leur chaise (ce qui ne les empêchent pas de se contorsionner, de s’affaisser, de ruminer, de se cacher le visage, etc.), les échanges de regards et de répliques n’en sont que plus incisifs et intenses.
A la trappe les autres personnages comme Dorn ou Medvédenko ou le vieux Sorine. Pour qui connaît la pièce (et c’est sans doute le cas de la plupart des spectateurs qui ont engrangé une ou plusieurs Mouette dans leur mémoire), c’est un régal, un délicieux concentré, un filtre magnifique. Pour ceux qui ne s’en souviennent pas ou découvrent la pièce de façon biaisée, qu’importe. Les regards implorants de Kostia sur Nina, les regards de cette dernière sur Trigorine, l’impuissance de Macha à faire évoluer les choses, les variations affectives d‘Arkadina à l’égard de son fils, l’égoïsme et la veulerie de Trigorine, tout cela est là, à deux pas de nous, comme palpables à l’état naissant.
Privant le théâtre de ses décors, des ses jeux de lumières et de musiques, ôtant aux comédien.ne.s leurs déplacements, leurs costumes, snobant les sexes, Guillermo Cacace et ses fabuleuses actrices touchent à l’essence même du théâtre : le jeu, encore le jeu, toujours le jeu. Avec la complicité de maître Tchekhov. Wahou !
Printemps des comédiens, Domaine d’O, cabane Napo, ce soir 19 h et 21h, idem demain et après demain. Tournée du 22 au 27 août : Festival Noorderzon, Festival of performing Arts & Society, du 29 au 31 août : FITT Noves Dramaturgies, Tarragone, Espagne