On attendait avec intérêt l’avis du Conseil supérieur des programmes (CSP) sur l’organisation des enseignements au collège, publié le 31 janvier[1].
Allait-il proposer de mettre en œuvre une organisation des enseignements qui vise à réaliser enfin un Collège pour tous, qui ne soit pas celui de la séparation entre les « bons » destinés au lycée général et technologique et les autres, destinés à la voie professionnelle ?
On déchante assez vite en voyant que, dans ses préconisations, le CSP propose, comme « nouvelles organisations » « deux parcours séparés en français et en mathématiques en classes de 6e et de 5e» et « deux parcours séparés en français et en mathématiques au cycle 4 ». La séparation est affichée comme principe d’organisation : nous voilà servis en matière d’apprentissage pratique de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Allait-il proposer de réviser le choix -jamais remis en question- des disciplines scolaires enseignées et de celles qui ne le sont pas, imaginer même que, en surplomb des disciplines établies, les grandes questions que doit affronter l’humanité au 21e siècle soient abordées conjointement sous diverses approches pluridisciplinaires ?
Il ne fallait pas y compter. « La priorité donnée aux apprentissages disciplinaires et à l’orientation doit redevenir une réalité ».
Allait-il proposer que le Collège s’émancipe d’un modèle de notation qui ne dit rien de ce que les élèves ont appris, mais qui est d’une redoutable efficacité pour classer les élèves et les séparer entre celles et ceux qui « ont la moyenne » et celles et ceux qui « ne l’ont pas » ?
Non, il ne faut rien changer si ce n’est revenir en arrière : en deux préconisations, la messe est dite. Le CSP propose d’une part de « simplifier le livret scolaire en privilégiant une évaluation chiffrée qui rende compte de l’atteinte des objectifs disciplinaires conformes aux repères de progression annuels », et, d’autre part, de « valoriser le Diplôme national du brevet. Il convient de diminuer la part du contrôle continu en le faisant passer de 50% à 30% et de proposer des épreuves attestant du niveau réel des candidats dans les enseignements fondamentaux ».
La note, rien que la note, la moyenne, rien que la moyenne, voilà une approche vintage de l’évaluation. Et on sera sensible à l’humour noir involontaire du CSP qui ajoute : « Dans ces conditions, l’obtention de ce DNB rénové vaudra validation du socle commun de connaissances, de compétences et de culture ». La culture acquise évaluée dans toute sa complexité par la moyenne à un examen, quelle belle idée neuve !
Allait-il proposer que le Collège devienne enfin un moment particulièrement riche dans la formation du futur citoyen, en valorisant la politique éducative de chaque Collège qui ne saurait se réduire aux apprentissages et enseignements disciplinaires ?
On est rapidement édifié. Pour le CSP, il faut impérativement « limiter le nombre des activités, projets, journées et parcours divers qui viennent s’ajouter aux enseignements disciplinaires sans augmentation du cadrage horaire global. La priorité donnée aux apprentissages disciplinaires et à l’orientation doit redevenir une réalité ».
Mais on n’est pas au bout de ses surprises : si le CSP ne propose pas de restaurer le surveillant général aboli en 1970 et d’en finir avec le corps des conseillers principaux d’éducation, il tient à souligner fortement que la priorité est de «rétablir l’ordre scolaire dans tous les collèges où il est mis en cause régulièrement.
En particulier, il conviendra de faire respecter rigoureusement les mesures réglementaires nationales (interdiction du téléphone portable au collège, des tenues à caractère religieux ostensible, etc.) et de recentrer les missions des conseillers principaux d’éducation (CPE) sur le respect du règlement intérieur par les élèves et leurs parents, et le soutien vigilant à l’autorité des enseignants en cas de difficulté avec un élève. Le rétablissement de mesures de sanction réelles et immédiates pour les élèves perturbateurs, avec exclusion automatique de la classe, pouvant aller jusqu’à l’exclusion de l’établissement en cas de récidive, ainsi que la responsabilisation systématique des parents, doivent redevenir la règle dans tous les collèges ».
Rien ne manque donc dans cet avis : des parcours séparés à l’exclusion de cours et de l’établissement, le Collège est bien pensé comme la grande gare de triage où l'ordre règne : l’objectif n’est pas de former une génération entière avec des objectifs de culture commune partagée pour faire société ensemble, mais de séparer dès l’entrée en 6e les élèves pour destiner les uns à la réussite académique et les autres à l’exclusion de cette perspective, l’excellence de la voie professionnelle n’étant que le faux nez de la ségrégation scolaire. On est bien loin des perspectives ouvertes par le CICUR dans la Lettre ouverte sur le Collège adressée au ministre le 1er décembre dernier[2].
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