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Billet de blog 1 mai 2024

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Laïcité : sagesse ou dogmatisme ?

Quand, au lieu de protéger la pensée critique, une ministre évince une voix considérée comme dissidente d’un Conseil d’experts, les citoyens peuvent s’inquiéter pour la démocratie.

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On pensait que l’école française était celle du débat argumenté, de la reconnaissance de la divergence, du dissensus et du respect du pluralisme comme fondateurs de la démocratie.

On trouvait donc qu’il était sage, de la part du ministre Pap Ndiaye, de nommer au Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République le sociologue et politologue, chercheur associé au Cevipof, Alain Policar. A quoi bon en effet un conseil des sages si sur la laïcité prévaut une définition officielle qui s’impose à toutes et tous, interdisant tout débat, toute réflexion non conforme au dogme officiel ? Un conseil n’est-il pas, par nature, le lieu d’un débat d’idées ?

Eh bien, ce que Pap Ndiaye avait fait en avril 2023, Nicole Belloubet vient de le défaire un an plus tard, en démettant AlainPolicar du Conseil des sages.

Dans Penser la laïcité, paru en 2014, Catherine Kintzler, membre éminent du Conseil des sages, écrivait de la laïcité que « son efficacité concrète s’apprécie à la quantité de liberté qu’elle rend possible ». De toute évidence, au Conseil des sages, cette quantité de liberté est limitée. On ne peut avoir qu’un point de vue sur la loi de 2004, et affirmer que celle-ci « apparaît, à tort ou à raison, comme discriminatoire à l’égard des musulmans » est inacceptable et passible d’exclusion du Conseil. Catherine Kintzler définit la laïcité comme un adogmatisme, héritier d’une pensée critique dont les Lumières furent porteuses en leur temps. Peut-on être adogmatique, défenseur de la pensée critique, et ne pas tolérer, au sein du Conseil des sages, l’expression d’un doute prudent « à tort ou à raison » ?

Le message de la ministre est donc sans ambiguïté. On ne peut entendre qu’une voix officielle, et toute voix exprimant nuance ou divergence est aussitôt exclue comme dissidente. Comme le soulignent plus de 130 personnalités de l’enseignement supérieur et de la recherche dans une tribune parue dans Le Monde daté du 2 mai[1], « doit-on rappeler que le Conseil des sages « exerce une mission de conseil, d’expertise et d’étude relative à la mise en oeuvre du principe de laïcité et à la promotion des valeurs de la République » (arrêté du 19 février 2021), ce qui en appelle à une pluralité de points de vue permettant au ou à la ministre de pouvoir trancher ? (…) Rien, par conséquent n’empêche un membre du Conseil d’avoir un avis réservé sur l’application de la loi de 2004 et de l’exprimer. On doit même considérer qu’il s’agit là d’un gage de pluralisme de nature à renforcer la légitimité de l’institution ». Ils concluent en affirmant que « l’éviction d’Alain Policar témoigne d’une volonté d’imposer une vision monolithique et dogmatique de la laïcité ».

Comment ne pas partager ce constat et ne pas s’en inquiéter ? Appliquer à un membre d’un conseil d’experts des décisions qui ne peuvent concerner que des fonctionnaires d’autorité dans l’exercice de leur fonction, voilà qui donne un signal d’une conception illibérale de la démocratie, où la doctrine officielle prend le pas sur le débat argumenté.

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[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/04/30/exclusion-d-alain-policar-du-conseil-des-sages-de-la-laicite-cet-acte-d-autorite-interroge-sur-l-etat-des-m-urs-democratiques_6230768_3232.html

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