Au moment où s’achève le recrutement par les chefs d’établissement des assistants de prévention et de sécurité (APS) et où commence leur formation, il est utile de revenir sur la circulaire n° 2012-136 du 29-8-2012 qui définit leurs missions, leur recrutement et leur formation[1].
On observera d’abord la confirmation d’une continuité de la politique éducative nationale, par delà les alternances politiques. Sous le précédent quinquennat ont été créées les équipes mobiles académiques de sécurité (EMAS ou EMS selon les académies). La circulaire parue à la première rentrée du nouveau quinquennat inscrit le travail des APS en complémentarité avec celui des EMS : « Ils participent à l'action éducative, en complémentarité avec les autres personnels et, selon les situations, avec les équipes mobiles de sécurité (EMS) » affirme la circulaire qui précise leur fonction de « relais, sous l'autorité du chef d'établissement, auprès des équipes mobiles de sécurité (EMS)» , notamment « apporter au chef d'établissement des éléments pour solliciter une intervention éventuelle des EMS ; proposer au chef d'établissement des outils permettant la transmission aux EMS des informations nécessaires au suivi des situations complexes (mode de transmission et fréquence à définir avec l'EMS : fiche navette, courrier électronique, contact téléphonique, etc.), ainsi que des critères nécessitant l'intervention des EMS. »
On notera ensuite le recours très fréquent à des termes tels que « contribuer », « participer », « concourir », « constituer un appui », «complémentarité », qui situent nettement l’action de ces nouveaux personnels dans le cadre d’un collectif. La circulaire évoque dans les établissements « l’équipe pluridisciplinaire de prévention rassemblant les compétences de différents personnels (conseillers principaux d'éducation, personnels sociaux et de santé, conseillers d'orientation-psychologues, etc.) ». On observera, à ce sujet, que les professeurs, personnel très majoritaire dans l’encadrement des élèves, ne sont évoqués que dans le "etc.". Signe, ici, encore, d’une continuité, non pas seulement politique, mais culturelle et idéologique de l’enseignement français de second degré : parmi les personnels perdure une division hiérarchique du travail entre ceux qui professent, en charge essentiellement de l’instruction, et les autres, qui sont chargés de l’éducation.
Destinés à agir au sein d’une équipe, les APS n’en ont pas moins des responsabilités spécifiques, à l’égard des élèves comme des personnels. Par exemple, vis à vis des personnels« organiser une information pour les personnels sur les facteurs de risques au sein de l'établissement et à ses abords ; sensibiliser les personnels aux problématiques de violence auxquelles les élèves peuvent être confrontés. » Ou bien encore, auprès des élèves, « identifier des signes précurseurs de tension et constituer un appui pour définir des stratégies de prévention des difficultés ; intervenir dans la gestion des conflits entre élèves et contribuer à la résolution des situations de violence avérée». On peut s’interroger sur la capacité de ces nouveaux personnels à organiser une information ou une sensibilisation des personnels sans l’appui d’autres personnels, et on pourrait redouter, si on ne connaissait pas le sens des responsabilité et l’engagement de ces autres personnels, que la formulation retenue ne puisse conduire certains d’entre eux à considérer qu’il faut désormais laisser faire les APS et ne pas ou ne plus se sentir concerné par ces actions d’information et de sensibilisation. De la même manière, on pourrait se demander, si on ne connaissait pas leur forte volonté d’ « agir en fonctionnaires de l’Etat et de manière éthique et responsable »comment pourrait être perçu par d’autres personnels le fait que des responsabilités de ce niveau soient confiées à des personnels recrutés à bac + 2 et bénéficiant d’une formation de huit semaines dès leur recrutement.
Si les 500 APS étaient répartis entre les 5% d’établissements qui concentrent plus du tiers des incidents déclarés, cela représenterait 1,27 support d’APS pour chacun de ces établissements. Si l’on s’en tient en effet aux chiffres clefs donnés par le ministère de l’éducation nationale pour l’enseignement public, on comptait, en 2009-10, 7822 collèges, lycées et lycées professionnels publics. 5% d’entre eux représentent donc 391 établissements. Cette moyenne purement théorique de 1,27 support d’APS n’a d’autre intérêt que de montrer que, même en concentrant l’affectation des APS sur « les établissements les plus exposés », on ne dépassera pas le nombre de quelques unités. Ce qui conduit à relativiser l’impact d’une mesure dont la circulaire déclare que son objectif est « d'augmenter, dès la rentrée scolaire 2012, le nombre des adultes présents dans les établissements scolaires les plus exposés aux phénomènes de violence et dont le climat nécessite d'être particulièrement amélioré ».
Cela ne pose qu’avec plus d’acuité la nécessité de considérer ce renforcement modeste de l’encadrement non pas comme une solution suffisante, mais comme un appui apporté, dans quelques établissements, à une politique collective d’éducation des élèves.
On ne peut s’empêcher de penser au recrutement annoncé à grand bruit par Xavier Darcos et Fadela Amara en janvier 2009 de 5000 médiateurs de réussite scolaire[2]. Les conditions de recrutement, d’adaptation à l’emploi et les missions sont bien différentes, mais la comparaison ne manque pas d’intérêt.
On observera d’abord que les APS comme les médiateurs de réussite scolaire se sont vu confier des missions dont certaines recoupent celles de conseillers principaux d’éducation (CPE). Pour ce qui les concernaient, les médiateurs étaient placés, dans ces domaines, sous la responsabilité des CPE : « participer, sous l’autorité des conseillers principaux d’éducation, au repérage et au traitement des absences lors des heures de cours. Ils soutiennent au quotidien les projets de lutte contre l’absentéisme menés dans les établissements. ». Il n’en va pas de même pour les APS : « Les APS exercent leurs missions sous l'autorité du chef d'établissement, garant de la sécurité des personnes et des biens. » Ce sera donc à chaque chef d’établissement concerné d’apprécier l’opportunité de déléguer éventuellement cette autorité au CPE.
On notera ensuite que le dispositif des médiateurs de réussite scolaire devait faire l’objet d’une évaluation, fondée sur l’obligation de résultats obtenus dans la lutte pour promouvoir l’assiduité des élèves.
« L’action des médiateurs de réussite scolaire fait l’objet d’une évaluation au regard des objectifs fixés dès la mise en œuvre de cette mesure :
Ainsi, pour les établissements bénéficiant de ces dotations, à l’issue de trois années de mise en œuvre, les taux d’absentéisme devront être réduits de 50%, à partir du constat statistique mené par les équipes de direction sur l’année scolaire 2007 - 2008.
Les 102 établissements publics locaux d'enseignement (E.P.L.E.) du groupe renforcé de lutte contre l’absentéisme devront quant à eux réduire de 30% leurs taux d’absentéisme dès la fin de la prochaine année scolaire.
Les collèges et les lycées situés dans les 215 quartiers prioritaires de la dynamique « Espoir banlieues », devront enfin baisser de 10 % le nombre de décrocheurs en trois ans. »
Pour les APS, il n’est question que d’un double bilan : « Un premier bilan portant principalement sur le recrutement, la formation et le champ des missions attribuées aux APS sera transmis à la DGESCO pour la mi-février 2013. Un second bilan portant notamment sur les missions effectuées sera demandé pour la fin juin 2013.» Peut-être a-t-on tiré les leçons de l’affichage en 2009 d’objectifs de résultats qui n’ont pas fait l’objet d’une véritable évaluation en fin de mise en œuvre : où a été publié le bilan des médiateurs de réussite scolaire en 2011-12 ? C’est ici que se mesure aussi une forme de discontinuité entre l’affichage politique et médiatique de politiques et la réalité de leur mise en œuvre. On peut former le vœu qu’il en ira différemment avec les assistants de prévention et de sécurité.
Pour cela, deux conditions essentielles : que cet apport en ressources d’encadrement supplémentaires ne soit pas considéré comme un dessaisissement des questions de prévention et de sécurité par tous ceux qui y oeuvrent déjà dans les établissements concernés et ne soit pas considéré non plus comme le moyen exclusif d’atteindre des objectifs ambitieux de sécurité pour tous. Ces objectifs ambitieux et légitimes ne pourront l’être que si l’on revisite complètement, pour ce qui concerne les facteurs internes aux établissements scolaires, le temps et les espaces scolaires, l’organisation des enseignements et l’évaluation des acquis des élèves, la politique éducative, la formation professionnelle et les conditions d’exercice des enseignants[3].
[1] http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=61301
[2] http://www.education.gouv.fr/cid23676/mediateurs-de-reussite-scolaire-dans-le-second-degre.html
[3] voir notre billet du 17 septembre sur « le climat scolaire » http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/170912/le-climat-scolaire-par-dela-les-reponses-immediates-une-question-