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Billet de blog 1 novembre 2025

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Club de dirigeants de l’éducation : quel éléphant dans la pièce ?

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Le club de dirigeants l’éducation[1] vient de demander à quatre de ses membres quels conseils ils donneraient à un candidat à la présidentielle[2]. On ne s’offusquera pas de l’emploi exclusif du masculin « un candidat », mais on s’intéressera plutôt à la teneur des conseils donnés par les initiateurs de ce club[3] qui rassemble le secrétaire général de l’enseignement catholique, le responsable du principal syndicat de personnels de direction de l’enseignement public, un ancien recteur de la région académique d’Ile de France et une sénatrice. Le club se définissant comme apolitique, on ne devrait donc pas s'étonner  plus que de raison d’y trouver un responsable de l’enseignement catholique tenant de la liberté de prier en classe[4] et un responsable syndical de l’UNSA, membre du Comité national d’action laïque, porteur vigilant de l’application du principe de laïcité dans l’enseignement public et pourfendeur des « provocations » de ce même responsable de l’enseignement catholique[5]. Au sein de ce club de dirigeants, la laïcité ne saurait donc empêcher le dialogue…

Mais venons-en aux "conseils à un candidat à la présidentielle".

On ne sera pas surpris d’y retrouver les éléments de langage qui permettent aisément un consensus transpartisan large : autonomie, compétences psycho-sociales, innovation, confiance aux acteurs, diversification des voies d’excellence, goût de l’effort, liberté de choix des familles, qualité, responsabilisation, sens de l’autorité. Il n’est pas sûr que les candidates et candidats trouvent dans ces éléments de langage de quoi renouveler un éventuel prêt à penser éducatif. Nous sont épargnées l’égalité des chances et la méritocratie républicaine, dont il n’est pas sûr qu’elles soient absentes du prochain débat présidentiel…

Certains conseils vont heureusement plus loin que cela, comme, par exemple, le rappel par le responsable syndical Bruno Bobkiewicz que « les réformes réussies sont celles qui s’appuient sur la mobilisation et la confiance des professionnels de l’éducation, dans le respect de leur expertise et de leurs responsabilités », la proposition d’« une instance d’évaluation et de certification réellement indépendante et appuyée sur la recherche » faite par l’ancien recteur de Paris, Christophe Kerrero , qui invite, et cela ne nous a pas échappé, à « expérimenter le secondaire unifié, qui permette à chaque élève d’acquérir des compétences académiques, techniques, artistiques, psycho-sociales, pour rompre avec l’orientation subie et mieux répondre aux attentes de la société ».

On tient là en effet une proposition qui pourrait dévoiler l’éléphant dans la pièce que personne ne mentionne. Evoquer la nécessaire rupture avec l’orientation subie, idée que rejoint Guillaume Prévost en indiquant qu’« un pays qui ne reconnaît qu’une seule forme de réussite décourage la moitié de sa jeunesse », c’est en effet évoquer une caractéristique essentielle du système éducatif français dont personne ne parle : notre système est marqué par une impitoyable politique des savoirs, qui rejette de la formation scolaire tous les savoirs qui n’appartiennent pas aux « programmes d’enseignement », et qui, au sein des savoirs scolaires, instaure une hiérarchisation jamais interrogée entre ceux qui seraient fondamentaux et les autres qui ne le seraient pas, et une séparation en disciplines le plus souvent étanches, qui laissent à l’élève seul le soin de faire le lien entre des savoirs académiques disparates qui s'ignorent. C'est cette politique des savoirs qui fonde le tri effectué à la fin du collège entre celles et ceux qui, sur leurs bons résultats dans les enseignements généraux, obtiennent l'orientation de leu choix et celles et ceux, qui sur la base de leurs difficultés dans les enseignements généraux, sont orientés, bon gré mal gré, vers la voie professionnelle.

Placer au cœur du débat éducatif la question de la politique des savoirs, en analysant celle qui règne sans partage dans l’enseignement scolaire et supérieur et en proposant qu’une autre politique des savoirs, fondée non plus sur la séparation et la hiérarchisation mais sur la relation, relation entre les savoirs dans toute leur riche diversité, relation entre les élèves, les enseignants et les savoirs, relation à soi aux autres et au vivant, fasse l’objet d’une débat éducatif associant les citoyennes et citoyens, et pas seulement les dirigeants de l’éducation, voilà qui donnerait aux candidates et candidats, et plus largement à notre pays, autre chose que les éléments de langage rabâchés depuis des décennies qui ne changent jamais rien à rien à l'école injuste qui est la nôtre.

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[1] https://cde-edu.fr/

[2] https://cde-edu.fr/wp-content/uploads/2025/10/CDE-post-Linkedin.pdf

[3] Christophe Kerrero, Bruno Bobkiewicz, Guillaume Prévost, Samantha Cazebone

[4] Guillaume Prévost, le nouveau secrétaire général de l’enseignement catholique, a souhaité publiquement, sur la chaîne de télévision KTO, le 12 septembre, puis lors d’une conférence de presse, le 23 septembreque son institution soit « plus véritablement catholique » en affirmant notamment qu’il fallait « redonner clairement le droit à une enseignante de faire une prière le matin avec ses élèves parce que c’est le cœur de [leur] projet ».

[5] https://www.cnal.info/

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