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Billet de blog 2 novembre 2016

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Remise des diplômes au collège : une «cérémonie républicaine» ?

Peut-on qualifier de "républicaine" une cérémonie qui rassemble ceux qui, dans un collège, ont réussi à l’examen ? Telle est la question que l’on peut se poser à la lecture de la note de service du 22 juin 2016 entrée en application après la rentrée 2016, qui enjoint aux établissements d’organiser une cérémonie républicaine de remise des diplômes.

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Le mois écoulé a été propice à la mise en œuvre de la note de service n° 2016-090 du 22-6-2016 instaurant une cérémonie républicaine de remise du DNB et du CFG[1]. Le site personnel de la ministre s’en est fait l’écho[2].

En participant à la cérémonie organisée le 5 octobre dernier au collège Utrillo, à Paris, la ministre a rappelé le sens de cette cérémonie : « Prenez le temps de savourer ce moment. Savourez votre réussite, et le plaisir de la partager avec toutes celles et tous ceux qui sont réunis ici, pour vous (…) Cette cérémonie est là pour donner du sens à ce premier diplôme et l’inscrire dans un ensemble plus vaste : l’inscrire au sein de la communauté scolaire, au sein de la vie de la Nation, au sein de la République ».

On ne peut éviter de se poser une question : si ceux qui ont obtenu le brevet ou le CFG[3] sont appelés à savourer leur réussite à l’examen, qu’en est-il de ceux qui ont échoué à l’examen et de leurs parents, eux qui sont pourtant membres au même titre que leurs camarades de la communauté scolaire, de la Nation et de la République ? Faut-il rappeler ici que, selon la note d’information de la DEEP de mars 2016[4], « en 2015, 86 % des candidats au diplôme national du brevet (DNB) ont réussi l’examen », ce qui exclut tout de même de la cérémonie républicaine 14% des élèves en moyenne, mais 22,4%  en série professionnelle. Quand on sait qu’"en série professionnelle, plus de la moitié des candidats sont d’origine sociale défavorisée", on mesure qui est particulièrement tenu à l’écart de cette cérémonie.

Comment concilier l’objectif d’inscrire tous les élèves au sein de la communauté scolaire, nationale, républicaine et le fait qu’on tienne à l’écart de la cérémonie républicaine des élèves majoritairement issus des milieux populaires ? On est tenté de chercher la réponse dans la note de service instaurant cette cérémonie. Elle rappelle que « La refondation de l'École de la République a pour objectif central la réussite de tous les élèves ». Or, justement, tous les élèves qui se présentent au DNB n’y sont pas admis. Envisage-t-on dans la note de service, la possibilité d’élargir la cérémonie républicaine à tous les élèves ? En dehors des lauréats du DNB et du CFG, la note indique : «Elle peut aussi permettre de valoriser les élèves ayant eu des engagements notables : représentants au conseil d'administration, au conseil pour la vie collégienne, membres de l'association sportive de l'UNSS ou de l'un des clubs du collège, élèves particulièrement investis dans des projets de l'établissement, jeunes sapeurs-pompiers volontaires, jeunes engagés dans des actions associatives...» Il n’est pas sûr du tout que cette valorisation de divers engagements des collégiens constitue un gage d’élargissement à tous les élèves du collège.

On est donc bien obligé de s’interroger sur la compatibilité entre un objectif de cérémonie républicaine et le choix qui consiste à n’y faire participer que ceux qui ont réussi à l’examen.

La note indique que «la mise en œuvre de la cérémonie républicaine est l'occasion pour les établissements concernés d'une réflexion sur les conditions du développement parmi les élèves d'un sentiment d'appartenance constructif à leur collège». On se gardera d’ironiser sur « le sentiment d’appartenance constructif à leur collège » développé auprès des élèves qui l’ont quitté définitivement quelques mois plus tôt pour entrer dans un lycée, et sur le sentiment d’appartenance aux exclus de la réussite potentiellement développé chez les autres. On ne doute pas que les établissements ont intégré dans leur réflexion le fait que le sentiment d’appartenance au collège, à la Nation et à la République concerne tous les élèves, et sans doute en premier lieu ceux pour qui la réussite scolaire ne va pas de soi. Exclure d’une cérémonie dite républicaine des élèves appartenant majoritairement à des milieux populaires n’est certainement pas le meilleur service à rendre à la République.

Si l’on veut instaurer ou restaurer une cérémonie  à visée rassembleuse autour du collège, il faut que celle-ci concerne tous les élèves et leurs parents, et qu’elle se déroule chaque fin d’année scolaire, permettant ainsi le développement d’un esprit d’appartenance constructif si favorable au climat scolaire[5]. Encore faut-il que soient pris en compte, au delà des diplômes obtenus et des engagements dans la vie du collège, toutes les réussites, au sein comme à l’extérieur du collège, dans tous les domaines.  L’objectif doit être impérativement que personne n’échappe à la reconnaissance par le collège d’une réussite, d’un potentiel, d’une action pouvant être valorisés.

Il y a, dans cette note de service, une contradiction entre d’une part la volonté affirmée de répondre à la nécessité de renforcer l’adhésion de tous à la République, comme à l’objectif de la refondation de réaliser une école de la réussite pour tous, et  d’autre part les caractéristiques d’une cérémonie qui semble tenir en lisière de la communauté scolaire, nationale, républicaine,  ceux qui n’ont pas réussi à l’examen. Si l’on en croit l’éditorial du secrétaire général d’un de leurs syndicats, les personnels de direction ne s’y sont pas trompés[6].


[1] http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=103178

[2] http://www.najat-vallaud-belkacem.com/2016/10/05/ceremonie-republicaine-de-remise-du-brevet-une-etape-solennelle-dans-le-parcours-citoyen-des-eleves/

[3] http://www.education.gouv.fr/cid52842/mene1019034c.html

[4]

http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/70/6/depp-ni-2016-06-DNB-2015_549706.pdf

[5] Debarbieux, E., Anton, N. , Astor, R.A., Benbenishty, R., Bisson-Vaivre, C., Cohen, J., Giordan, A., Hugonnier, B., Neulat, N., Ortega Ruiz, R., Saltet, J., Veltcheff, C., Vrand, R. (2012). Le « Climat scolaire » : définition, effets et conditions d’amélioration. Rapport au Comité scientifique de la Direction de l’enseignement scolaire, Ministère de l’éducation nationale. MEN-DGESCO/Observatoire International de la Violence à l’École. 25 pages.

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/climat-scolaire2012.pdf

[6] http://www.snpden.net/sites/default/files/files/d242-edito-mauvaise-tournure.pdf

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