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Billet de blog 3 mars 2024

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Quel avenir pour l’enseignement professionnel ? Cinq propositions en débat

Dessiner un enseignement professionnel fidèle à sa mission économique, sociale et démocratique, et ouvrir le débat sur les mesures qu’il propose, tel est l’objectif tenu et réussi par Daniel Bloch dans son dernier ouvrage.

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C’est une chose de faire de l’enseignement professionnel une grande cause nationale, et de l’éducation nationale son domaine réservé, c’en est une autre de proposer une vision d’avenir qui soit en rupture avec le cours ordinaire des choses, marqué par des mesures à courte vue sans lendemains. Comme l’indique le titre du premier chapitre, il s’agit de passer « du temps court au temps long ».

Daniel Bloch, dont la connaissance de l’enseignement professionnel et de son histoire est incontestée, s’y essaie en proposant à l’Etat de mettre en débat, avec les entreprises, avec les enseignants et avec les collectivités territoriales, notamment les régions, des propositions qui seraient ensuite examinées par le Parlement.

Dans son dernier ouvrage[1], il les expose et en débat avec deux parlementaires membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale et avec le secrétaire général du syndicat majoritaire des professeurs de l’enseignement professionnel (SNETAA).

Le constat de départ est simple : une véritable voie professionnelle reste à construire, qui dépasse le morcellement actuel en silos, des CAP, baccalauréats professionnels, BTS, et réponde ainsi aux trois fonctions qui sont les siennes : « économique, sociale et démocratique », et à sa vocation « ascensionnelle ». Rien ne change en effet. Comme l’observe par exemple le député Alexandre Portier, « le problème du lycée professionnel, ce n’est pas le lycée professionnel lui-même, c’est l’Education nationale et la façon dont elle fonctionne. (…) Quand, à la fin de la classe de 3e, on envoie les plus mauvais, de manière systémique, en lycée pro, parce qu’on pense qu’ils n’auront pas le bon niveau pour être en filière générale, cela veut dire que c’st une filière par défaut, et c’est une filière par niveau en réalité ».

Quelles sont donc les propositions soumises au débat par Daniel Bloch ?

Partant du constat que les élèves en grande difficulté au collège sont en danger de décrochage par le caractère strictement académique des enseignements dispensés dans les collèges, et que leurs résultats, année après année, continuent de se détériorer, il propose en urgence de doubler les capacités d’accueil des classes de 3e prépa-métiers qui permettent à ces élèves de retrouver estime de soi, projet personnel et professionnel, et confiance dans l’école avant la fin des années Collège.

Il propose ensuite d’élever le niveau du CAP, pour renforcer les capacités d’accès à l’emploi dans le domaine de formation choisi et fournir un personnel plus qualifié aux entreprises, en prolongeant sa préparation d’une année, une moitié étant consacrée à la formation générale et l’autre à la formation en milieu professionnel. Ce CAP en trois ans permettrait d’atteindre une formation initiale pour tous jusqu’à 18 ans.

En pleine cohérence avec la mesure précédente, Daniel Bloch propose d’élever le niveau du baccalauréat professionnel en constatant les effets néfastes de la réforme qui, en 2019, a amputé sa préparation d’une année, près du tiers des entrants abandonnant en cours de route. Là encore, il s‘agirait d’enrichir la préparation au bac pro d’un an, par une formation générale renforcée en première année et des périodes de formation en entreprise augmentées les deus années suivantes.

Pour que l’accès à la formation supérieure devienne une réalité pour les étudiants issus de la voie professionnelle, Daniel Bloch propose de créer "un enseignement supérieur sur mesure" pour eux. Il rompt ainsi avec l’hypocrisie qui consiste à feindre de croire qu’un bachelier professionnel va, le temps d’un été, se muer en bachelier technologique ou général. S’inspirant du modèle du bachelor universitaire de technologie qui complète les deux années du DUT, il suggère d’implanter progressivement en lycées professionnels et polyvalents des formations conduisant en trois ans à un bachelor professionnel constituant une licence professionnelle spécifique. Progressivement, la voie professionnelle constituerait un parcours complet du collège au master. Cela gagnerait en dynamique si on redonnait un second souffle aux campus des métiers et des qualifications, croisant enseignements secondaire et supérieur, formations initiales et continuées, sous statut scolaire et en apprentissage, en cohérence avec des politiques d’aménagement du territoire.

Un des fils conducteurs de cette réflexion est bien entendu la nécessité de repenser les savoirs enseignés et ceux qui ne le sont pas : c’est un scandale démocratique et une injustice flagrante, par exemple, que l’apprentissage de la philosophie soit refusé aux élèves des lycées professionnels. Daniel Bloch et ses interlocuteurs le soulignent.
On serait tenté, en le lisant, de lui proposer d’approfondir sur ce point la question des 3e prépa-métiers. Pourquoi les pédagogies mises en œuvre dans ces classes, la découverte des métiers qui s’y effectue, seraient-elles réservées aux collégiens en difficulté ? Pourquoi l’ensemble des collégiens ne tireraient-ils pas profit de ces atouts de motivation et d’ouverture sur le monde ? Ce serait une bonne façon de préparer l’accès à la voie professionnelle comme une voie d’égale dignité pour les élèves, leurs parents et leurs enseignants, si, de la 6e à la 3e, on en faisait bénéficier l’ensemble des collégiennes et collégiens.

Cela supposerait que soient repensés les enseignements dispensés au collège, les modes d’évaluation qui y ont cours, ce qui nécessiterait de revoir aussi la formation des enseignants, actuellement uniquement formés pour être exclusivement professeurs de collège ou de lycée général, comme si le collège n’était toujours que le « petit lycée » de jadis et ne  préparait par la réussite qu'au lycée général, et que par l'échec au lycée professionnel.

On le voit, en dessinant des mesures de rupture pour faire enfin de l’enseignement professionnel une voie aussi ouverte que les autres vers la formation supérieure, à la fonction démocratique assumée, Daniel Bloch nous invite aussi à questionner le collège tel qu’il est, et la politique des savoirs qui s’y exerce, qui constitue un choc négatif pour beaucoup de ses élèves. Son ouvrage, enrichi de tableaux particulièrement parlants et d’annexes permettant d’avoir une information à jour sur ce que deviennent les élèves diplômés de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage, sera utile à tous ceux qui s’intéressent à cet enseignement, ses élèves et ses personnels. Sa parution est utile, et ouvre un débat et des échanges qui pourront notamment se poursuivre à la fin du mois de mars, avec la prochaine séance du séminaire filé du Collectif d’interpellation du curriculum (CICUR)[2].

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[1] Daniel Bloch, Quel avenir pour l’enseignement professionnel ? PUG, Grenoble, 2024

[2] Un enseignement “professionnel”: pour qui ? Pour enseigner quoi ? Dans quel lycée ?

https://curriculum.hypotheses.org/#rubrique2https://4a618da5.sibforms.com/serve/MUIFADup6T7q-zEUG4tw4mAQeKphkO-0OEfQTgkpbhkAMUcmhIurEQd3Q5ZVn3tmG5mQ5ksCjcL7J5eid78v98koQzrFnMTJG8-1tHqA4HJeDhJO3l7lNo2dLaTv7371VdVpqhw9R3LdgQotb09Bhwnc6GP2QQ9x-kxBr4gLH95qRXibtQ8Omu3r4sRzXdGfqLrdDsKo13MgkOUJ?utm_source=brevo&utm_campaign=PROGRAMME+SEMINAIRE+CICUR+SEANCE+8&utm_medium=email

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