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Billet de blog 3 avril 2018

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Les enseignants manifestent aux Etats-Unis : pourquoi et pour quoi?

Les enseignants de plusieurs états américains manifestent pour leurs salaires et pour défendre l’école publique, victime d’une «décennie budgétaire punitive» selon le Centre américain pour le budget et les priorités politiques.

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Le titre de l’article du Monde daté du 3 avril[1] donne une première réponse aux questions du titre : Manifestations d’enseignants américains pour des revalorisations salariales. On apprend, dans le corps de l’article que « cette mobilisation est la dernière en date d’un mouvement lancé par les enseignants des établissements publics, après une grève de neuf jours en mars en Virginie Occidentale qui a permis aux instituteurs de cet Etat d’obtenir leur première hausse de salaire en quatre ans. (…) Dans l’Oklahoma, où certains enseignants disent avoir un second emploi pour pouvoir subvenir à leurs besoins, Mary Fallin, la gouverneuse de l’Oklahoma, a accordé une augmentation comprise entre 15 et 18 %, mais certains enseignants n’ayant pas été augmentés depuis dix ans estiment que ce n’est pas suffisant ». Douze états ont en effet réduit le budget de l’éducation depuis la crise de 2008 et ont maintenu cette restriction malgré l’embellie économique survenue depuis. C’est ce que le Centre pour le budget et les priorités politiques caractérisait, en novembre dernier, comme « une décennie punitive pour le budget de l’éducation[2] ».

En effet, la question posée par les enseignants n’est pas uniquement salariale. Ils se battent également pour le service public d’éducation mis à mal durant toute cette décennie. Selon les auteurs de l’article consacré à cette décennie punitive, en 2015 (dernière année pour laquelle on dispose des chiffres concernés), 29 états consacraient moins qu’ils ne le faisaient en 2008 à la dépense par élève. Comme, en 2017, 22 états ont fait face à des déficits de rentrées budgétaires, la situation de l’école publique est fort sérieuse pour longtemps encore. Et, pour les auteurs de l’article, ces coupes budgétaires risquent encore de diminuer la possibilité de développer l’intelligence et la créativité des travailleurs et entrepreneurs de demain. La recherche comme le bon sens indiquent que ces restrictions du budget de l’éducation pénalisent prioritairement les enfants dont les familles sont en situation de pauvreté ou de précarité. Restaurer les budgets de l’éducation publique est donc une priorité politique.

La situation outre –Atlantique peut conduire à quelques observations. Notons d'abord  qu'aux Etats-Unis, certains enseignants sont contraints pour subvenir à leurs besoins, d'avoir un deuxième emploi, comme c'est le cas dans bien des pays autrement moins riches et puissants que cette grande puissance mondiale.

Notons ensuite que ce mouvement des enseignants américains n'est pas sans rappeler la longue grève des enseignants de Chicago, en 2012, qui s'était terminée sur un donnant-donnant bien symptomatique : l'augmentation de salaire obtenue au bout de 9 jours de grève (+ 17% en quatre ans) avait été liée  à la mise en oeuvre d'un nouveau système d'évaluation des enseignants prenant en compte les résultats de leurs élèves. Cette prise en compte faisait partie des mesures permettant de bénéficier des subventions du programme fédéral "Course en tête" (Race to the top) destinée aux écoles scolarisant des élèves issus de milieux défavorisés.

Remarquons enfin que, contrairement aux Etats Unis, notre pays a accompli pour l’éducation un effort budgétaire soutenu entre 2012 et 2017. Mais cet effort a porté plus sur le recrutement de nouveaux enseignants, après la purge des années 2008-2012, que sur les traitements des enseignants. L’effort pour améliorer les conditions d’apprentissage des élèves en zone d’éducation prioritaire s’est traduit notamment par le dispositif « plus de maîtres que de classes », et, depuis 2017, par le dédoublement des classes de CP puis de CE1. On peut mesurer ainsi combien la situation est différente dans des pays confrontés certes à des difficultés communes, mais porteurs d’une culture politique et d’un modèle politique d’éducation différent. Et les enseignants américains nous rappellent aussi, en ce printemps social français, que revendications salariales et défense du service public peuvent aller de pair.

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[1] http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/04/03/manifestations-d-enseignants-americains-pour-des-revalorisations-salariales_5279830_3222.html - Qkj2HAgD7WD1bB7T.99

[2] https://www.cbpp.org/research/state-budget-and-tax/a-punishing-decade-for-school-funding

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