La période estivale est sans doute propice pour bon nombre d’entre nous à une prise de recul avec les flux d’information continue et à une réflexion plus approfondie sur des sujets que l’actualité médiatique traite trop souvent superficiellement.
Pour évoquer l’école publique, dans son hors série 77 de juillet-août 2023[1], Politis a choisi de donner la parole et la plume à « celles et ceux qui font et vivent l’école » pour dessiner des propositions pour une école publique plus juste.
Du préambule à la fin du magazine, le ton et l’esprit sont sans concession aux artifices qui réduisent souvent le débat éducatif à un faux-semblant.
L’entretien avec Jean-Paul Delahaye, directeur de l’enseignement scolaire sous le ministère de Vincent Peillon, met en pièce le mythe de l’égalité des chances, dont il souligne que continuer à en parler à propos de notre école réelle est « absurde et même cynique ». Vers la fin du numéro, l’article de Philippe Champy et Roger-Fançois Gauthier pose une question qui n’est jamais posée ordinairement : « qui sait à quoi servent les savoirs scolaires ? ». Il est curieux en effet que les contenus d'enseignement ne fassent jamais l'objet d'un débat public et soient reconduits tacitement de nouveaux programmes en nouveaux programmes de disciplines établies et hiérarchisées définitivement.
Annoncé dès le préambule par les planches BD de S. Wizel consacrées à « l’école du progrès du futur » selon Macron, le premier chapitre dresse le bilan de ce que la Macronie fait à l’école publique : bien entendu syndicats et enseignants s’expriment sur le choix du tri social opéré cinq ans durant par Blanquer, dont l’application ParcourSup est un emblème, choix masqué dans la communication officielle par les mesures de dédoublement de classes en éducation prioritaire. La méthode de ce ministre, fondée sur la caporalisation, est analysée dans un autre article. Mais une plongée dans la fabrique des managers de l’éducation nationale montre aussi quel type de formatage y est visé sur les nouveaux personnels d’inspection et de direction, tandis qu’un autre article traite de l’ «esprit d’engagement » cultivé chez les élèves en ayant recours à l’armée et à la gendarmerie. On pourra regretter au passage que ne soit pas soulignée la mise sous le boisseau de l’ambition d’un socle commun de culture au profit des prétendus "savoirs fondamentaux", résumés en une formule héritée de M. Thiers sous la Monarchie de Juillet : lire, écrire, compter, complétée par respecter autrui.
Le second chapitre dessine l’école que nous voulons : nous inclusif s’il en est, puisqu’il s’appuie aussi bien sur des paroles d’élèves de cycle 3, ou de lycéens professionnels à propos des ateliers de philosophie, puisqu’ils sont privés d’un enseignement de cette discipline – ce qui en dit long sur la prétendue vision officielle de l’excellence de la voie professionnelle-, sur celle d’une accompagnatrice d’élèves en situation de handicap, sur celles de spécialistes évoquant les pédagogies alternatives et les possibilités d’enseigner autrement comme la question de la lutte contre le harcèlement scolaire, sur celle d’enseignants pratiquant la suppression des notes pour aider les élèves à mieux apprendre, sur celle d’une élue locale à propos des circuits courts, bio et durables, en lien avec un reportage sur la révolution par l’assiette, sur celle de Chat GPT répondant à la question « êtes-vous destiné à remplacer les professeurs ? ». Laurence de Cock, qui a coordonné ce dossier, met l’accent sur la nécessité de changer le métier pour ne plus avoir à en changer comme le font de plus en plus nombreux professeurs. Loin de pleurer le temps perdu des hussards noirs, elle oppose aux séances de job dating pour recruter en urgence avant la rentrée des vacataires, une véritable refondation professionnelle fondée notamment sur la dimension collective et non individuelle du métier, et sur l’objectif de « protéger, faire penser et faire agir les enfants ».
Ce numéro hors série éclaire les enjeux éducatifs actuels en montrant à la fois les difficultés provoquées par l’actuelle politique éducative présidentielle, les progrès accomplis pendant ces mêmes années grâce à des engagements collectifs et la nécessité urgente d’un rupture profonde avec une politique qui ne résout aucune des vraies questions posées à notre école publique en évitant d’aborder les plus fondamentales.
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