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Billet de blog 3 septembre 2012

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Un système éducatif juste et efficace : quel équilibre entre justice (sociale) et efficacité (budgétaire) ?

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Le débat actuel sur la refondation de l’école ne pouvait laisser de côté la question de la gouvernance du système éducatif.

Cette question touche à la fois l’institution scolaire elle – même, du Ministère aux établissements en passant par les rectorats, mais aussi toutes les parties prenantes de l’action éducatrice : autres ministères, collectivités, associations, parents, élèves et personnels.

Il est intéressant de noter que l’intitulé de la thématique est bien représentatif du compromis français entre l’idéal républicain de justice et d’égalité et une approche axée sur l’efficacité de l’école (school effectiveness), qui fonde la gouvernance éducative au Royaume uni, aux Etats unis et dans les organismes internationaux.

Il n’est sans doute pas inutile de s’appuyer sur les observations produites en France et dans le monde anglo-étatsunien pour mesurer l’importance de ce compromis.

Si l’on pousse la logique de l’efficacité, de l’efficience et du rendement de l’investissement éducatif jusqu’à son terme, on peut en effet considérer que c’est en valorisant les enseignants et les établissements efficaces, efficients, à rendement scolaire positif, qu’on améliorera l’ensemble du système et favorisera à terme la promotion et la réussite de tous les élèves. On peut aussi considérer qu’un mode de traitement égalitaire des enseignants et des établissements, indépendamment des résultats de leurs élèves, est un encouragement à un fonctionnement  routinier, qui n’incite ni à l’innovation ni à l’expérimentation pour obtenir la meilleure réussite des élèves. On a vu ainsi apparaître, à la rentrée dernière en France, dans les établissements des réseaux ECLAIR, une indemnité spécifique comportant une part modulable. allouée aux seuls enseignants qui accomplissent l’intégralité de leurs obligations de service en ECLAIR et « qui se voient confier, à titre accessoire, des activités, des missions et des responsabilités particulières au niveau de l’école ou de l’établissement »[1].

 Quel a été l’effet des politiques managériales (new public management) d’obligations de résultats (accountability) conduites, sous des modalités différentes, aux Etats unis comme au Royaume uni ? Ces politiques se sont fondées sur la critique de la bureaucratie et du corporatisme scolaire, la stratégie de contrôle de la dépense publique par la récompense et la promotion en fonction de l’atteinte des objectifs. Elles visent à créer chez les parents une culture de consommateur averti, et chez les personnels une culture du projet et de la performance, à partir d’une question dominante : qu’est-ce qui marche ? (« What works ? »).

Cette modernisation s’est traduite par des résultats moins univoques qu’ils ne semblaient devoir l’être selon ses promoteurs. On s’appuie ici sur des travaux portant sur le système éducatif du Royaume uni de  Ball et Gewirtz[2], cités par Romuald Normand dans Gouverner la réussite scolaire[3].L’individualisation de la progression de carrière des enseignants, la rémunération à la performance sont allées à contresens de la solidarité collective, du travail d’équipe attendu. Pour obtenir de bons résultats, responsables d’établissements et enseignants ont focalisé leurs efforts sur les élèves « rentables » et ont pu être tentés de se débarrasser des élèves « non rentables », ce qui a pu renforcer les inégalités sociales et raciales de réussite scolaire, d’autant que pour les meilleurs ont été proposées des activités spécifiques, dans le cadre, par exemple, de l’académie nationale pour la jeunesse intelligente et talentueuse, créée en 2002 au Royaume uni. La multiplication des évaluations au travers de tests standardisés  a nui à l‘innovation et à l’expérimentation pédagogique comme à la qualité des apprentissages.

Les premières observations empiriques faites en France dans les établissements des réseaux ECLAIR vont dans le même sens : un collègue enseignant dans ce cadre m’écrit que « l'individualisation des responsabilités qui est mise en place dans les réseaux ECLAIR (préfet des études par ex) joue en faveur d'une déresponsabilisation des autres enseignants qui n'ont plus sur le papier cette responsabilité et les dédouane en quelque sorte de toute prise d'initiative dans les domaines concernés (par exemple le suivi des élèves, du point de vue des compétences sociales et civiques notamment). L'établissement est donc moins que jamais cette communauté d'acteurs  qui oeuvre pour la réussite des élèves selon des principes supérieurs mais pourrait devenir l'addition d'opportunismes individuels ».

Il ne s’agit pas, en mettant en avant ces résultats pour le moins ambigus, d’en appeler à la restauration d’une école idéale. L’école républicaine s’est fort bien accommodée d’un élitisme républicain dont la création des internats d’excellence, sous le précédent quinquennat, est l’illustration dernière[4]. Mais que le débat actuel sur la refondation fasse référence d’abord à la justice plutôt qu’à l’égalité des chances et  ensuite à l’efficacité est de bon augure. François Dubet[5] a montré les limites de l’égalité des chances et souhaité que l’on vise plutôt l’égalité des places.  Loin d’être inscrit exclusivement dans le cadre de l’orthodoxie managériale, le débat actuel, en donnant toute sa place à l’exigence de justice, s’inscrit bien dans la volonté d’une véritable refondation républicaine.


[1] Le décret n°2011-1101 du 12 septembre 2011 crée, à compter du 1er septembre 2011, une indemnité spécifique ECLAIR. L’arrêté du 12 septembre 2011 en fixe le taux annuel, plafonné à 2400 €  pour la part modulable. 

[2] Ball, S.J., Performativities and fabrications in the education economy : towards the performative society ? in The performing school, London, Routledge Falmer, 2001

Gewirtz, S., The managerial school : post welfarism and social justice in education, Buckingham University Press, 2002

[3] Normand, Romuald, Gouverner la réussite scolaire : une arithmétique politique des inégalités, Peter Lang/ENS Lyon, 2011

[4] Voir notre billet du 8 juin http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/080612/excellence-l-ecole-sous-l-elitisme-republicain-le-separatisme-soc

[5] Dubet, François, L ‘école des chances : qu’est-ce qu’une école juste ?, Paris, Seuil, 2004

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