En s’appuyant sur l’évolution du taux d’équipement des ménages français en appareils connectés, on aurait pu croire que la fracture numérique appartenait au passé. Une récente étude de la DEPP[1] consacrée à la lecture sur support numérique à la fin du collège apporte une démonstration finement argumentée de la fracture numérique actuelle. Fracture non pas en termes d’équipement, mais en termes de compétences de navigation numérique, très fortement corrélées à l’appropriation des usages des instruments numériques selon les milieux sociaux.
Les compétences de lecture sur écran évaluées par cette étude sont au nombre de cinq.
- prélever de l’information en naviguant au sein d’un document – prélèvement explicite d’une information (LE) ou prélèvement nécessitant une inférence (LI) ;
- mettre en relation, analyser, synthétiser et s’approprier des informations contenues dans les pages d’un même support numérique (LA) ;
- opérer des sélections en évaluant la performance thématique de l’information (LS) ou en jugeant de la qualité de l’information (LJ).
L’étude, réalisée en 2014 à partir d’un échantillon de 8000 élèves de classe de 3e dans 321 collèges, permet de distinguer cinq groupes qui dessinent deux profils d’élèves.
1/ Les élèves des groupes les plus faibles, qui représentent 45 % de l’échantillon, ne réussissent au mieux qu’un item sur deux. Après une navigation simple, souvent guidée, ils prélèvent et interprètent des informations explicites. Ils sont aussi confrontés aux problèmes de lecture d’informations.
2/ Les élèves des autres groupes réussissent plus d’un item sur deux. Ils ont acquis et développé des compétences en lecture exploratoire et sont capables d’établir des stratégies de navigation. Ceux des groupes 4 et 5 maîtrisent en outre le prélèvement et l’interprétation de données multimodales.
Ce que l’étude permet de percevoir, c’est que ces deux profils se distinguent par leurs caractéristiques de genre et de milieu familial et social.
Le score moyen des filles est supérieur de 10 points à celui des garçons. 58,5% d’entre elles figurent dans le second profil, contre 50,6% des garçons. A l’inverse, 11, 7% d’entre elles figurent dans les groupes les plus faibles, contre 18,2% des garçons.
Le score moyen des élèves « en retard » est inférieur de 29 points à celui des élèves « à l’heure ». Près de 64% d’entre eux sont dans les groupes les plus faibles, contre 41% des élèves « à l’heure ». Ils sont deux fois plus nombreux qu’eux dans les deux groupes de plus faibles performances. De quoi méditer au passage les bienfaits du redoublement.
Les élèves des collèges situés en éducation prioritaire sont surreprésentés dans les groupes de faible performance et sous représentés dans les autres.
L’indice de position sociale moyen de chaque collège permet de constater la variation du score moyen de leurs élèves en lecture numérique depuis les collèges à faible indice social moyen jusqu’aux collèges à fort indice social moyen. Cela confirme la corrélation entre l’origine sociale et les performances scolaires. Les auteurs de l’étude concluent : «Ces écarts de performance, socialement différenciés, incitent à porter une attention particulière sur les modalités d’appropriation des usages du numérique. En effet, les élèves n’ont pas tous l’opportunité, dans leur socialisation familiale, d’acquérir des dispositions cognitives et culturelles leur permettant d’accéder à des contenus passant par des supports numériques sans éprouver de grandes difficultés.»
Pour notre part, nous pouvons observer qu’il ne suffit pas d’un coup -et d’un coût- de tablette magique pour surmonter le défi de l’égalité des élèves devant la culture numérique. Sur support numérique ou non, les apprentissages restent différenciés à l’école selon l’origine sociale et le milieu familial. On ne peut que méditer, à propos de la lecture sur support numérique, la réflexion de Condorcet rappelée par Jean-Paul Delahaye dans son rapport Grande pauvreté et réussite scolaire[2] : « L’éducation nationale, pour reprendre les propos de Condorcet, ne saurait être une espèce de loterie nationale[3] pour les enfants du peuple. Et c’est à l’Etat de garantir à tous les enfants une égalité des droits" –et non des chances !- "sur l’ensemble du territoire ».
Cette étude confirme d’autre part la nécessité de considérer comme une ardente obligation, pour tous les élèves dans tous les collèges, et plus encore dans le collèges à faible indice social moyen, la mise en oeuvre de l’article 53 de la loi de refondation de l’école de la République qui prescrit une éducation aux médias et à l’information pour tous les collégiens[4].
Mise en œuvre qui concerne certes le parcours citoyen de l’élève, l’enseignement moral et civique comme l’enseignement pratique interdisciplinaire information, communication, citoyenneté, mais qui concerne également chaque enseignement disciplinaire, chaque pratique de lecture et de recherche d’information, chaque activité de vie collégienne. Les programmes du cycle 4 en présentent clairement l’enjeu et les contenus[5].
Mise en oeuvre dont l’indispensable coordination peut être confiée aux professeurs-documentalistes dont la formation en sciences de l’information, de la communication et de la documentation fait les experts de ce domaine.
[1] Note d’information de la direction de l ‘évaluation, de la prospective et de la performance, n° 43, novembre 2015
[2] http://cache.media.eduscol.education.fr/file/2015/52/7/Rapport_IGEN-mai2015-grande_pauvrete_reussite_scolaire_421527.pdf
[3] Condorcet, premier mémoire sur l’instruction publique, in Cinq mémoires pour l’instruction publique, Garnier-Flammarion, 1994, p 69.
[4] http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=?cidTexte=JORFTEXT000027677984&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id
[5] http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=94717
« Dans une société marquée par l'abondance des informations, les élèves apprennent à devenir des usagers des médias et d'Internet conscients de leurs droits et devoirs et maitrisant leur identité numérique, à identifier et évaluer, en faisant preuve d'esprit critique, les sources d'information à travers la connaissance plus approfondie d'un univers médiatique et documentaire en constante évolution. Ils utilisent des outils qui leur permettent d'être efficaces dans leurs recherches(…)
L'éducation aux médias et à l'information passe d'abord par l'acquisition d'une méthode de recherche d'informations et de leur exploitation mise en œuvre dans les diverses disciplines. Elle pousse à s'interroger sur la fiabilité, la pertinence d'une information, à distinguer les sources selon leur support. Elle aide à exploiter les outils, les modes d'organisation de l'information et les centres de ressources accessibles.
L'éducation aux médias et à l'information, présente dans tous les champs du savoir transmis aux élèves, est prise en charge par tous les enseignements.
Tous les professeurs, dont les professeurs documentalistes, veillent collectivement à ce que les enseignements dispensés en cycle 4 assurent à chaque élève :
- une première connaissance critique de l'environnement informationnel et documentaire du XXIe siècle ;
- une maitrise progressive de sa démarche d'information, de documentation ;
- un accès à un usage sûr, légal et éthique des possibilités de publication et de diffusion.
Il s'agit de faire accéder les élèves à une compréhension des médias, des réseaux et des phénomènes informationnels dans toutes leurs dimensions : économique, sociétale, technique, éthique. Quelques connaissances sur l'histoire de l'écrit, des différentes étapes de sa diffusion et de ses supports mettent en perspective sa place dans la société contemporaine.
Les élèves sont formés à une lecture critique et distanciée des contenus et des formes médiatiques. Ils sont incités à s'informer suffisamment, notamment par une lecture régulière de la presse en français et en langues vivantes, ainsi qu'à produire et diffuser eux-mêmes de l'information.»