A l’heure ou la « transformation du Collège » est lancée par un ministre convaincu que celui-ci est « l’homme malade du système »[1], la Note d’information 22-34 de la DEPP parue en novembre 2022[2] apporte des informations utiles sur la manière dont les collégiennes et collégiens de 13-14 ans utilisent leur temps libre. Et les informations qu’elle nous donne, les analyses que les auteurs de l’étude en tirent peuvent être utiles pour comprendre d’où pourrait venir le mal.
Si faire ses devoirs le week-end rassemble 84% d’entre elles et eux, faire du sport 83% et faire ses devoirs le soir une fois rentré du collège 82%, elles et ils ne sont que 11% à écouter de la musique classique, du jazz ou de l’opéra, 21% à jouer d’un instrument de musique. Si 54% déclarent sortir avec des copains, 50% déclarent lire des BD, 45% des romans ou des essais ou aller sur internet pour s’informer.
Ces quelques chiffres donnent déjà une première indication : l’effet collège sur le temps libre est notable, mobilisant 3 des 7 activités les plus fréquentes, au travers des devoirs le soir et le week-end pour plus de 4 collégiens sur 5, les devoirs le mercredi après-midi en mobilisant 4 sur 5 (comme jouer aux jeux vidéo !), les devoirs après le dîner concernant 1 collégien sur 4.
En croisant les réponses, l’étude distingue 6 groupes de collégiennes et collégiens : les générationnels (31%), les héritiers (20%), les rétifs au sport (15%), les sportifs non scolaires (15%), les équilibrés (12%) et les isolés (8%).
La répartition de ces groupes selon les genres et les milieux sociaux n’est pas neutre. Les « sportifs non scolaires » sont à près de 70% des garçons, les « équilibrées » à 70% des filles. Les « héritiers » se recrutent à près de 30% chez les cadres, contre 15% chez les ouvriers qualifiés, 5,7% chez les ouvriers non qualifiés et 2,4% chez les inactifs. Pour plus de 39% d’entre eux, le revenu mensuel du foyer est supérieur à 4000 €, et pour plus de 30% d’entre eux compris entre 2500 et 4000 €. Ils ne sont que 13% dont les foyers ont un revenu mensuel inférieur à 1600€, contre plus de 27% dans le groupe des « sportifs non scolaires » et 26,2% dans les « isolés ». Le diplôme des parents joue également considérablement : parmi les « héritiers » , 67% ont des parents diplômés de l’enseignement supérieur (dix fois plus exactement que ceux dont les parents sont sans diplôme), parmi les équilibrés ils sont plus de 50% (soit cinq fois plus que pour les sans diplômes).
Il y a de ces données quelques enseignements à tirer en matière de politique éducative. Si les collégiens sont assez fortement marqués par leur statut de collégien dans leur temps libre, ils le sont surtout par les devoirs. Ils le sont beaucoup moins en matière de pratiques culturelles et de loisirs, le diplôme et le revenu des parents, l’origine sociale prenant le pas sur l’éducation apportée par l’école puis le collège.
On voit ici comment l’inégalité scolaire se joue certes à l’école, mais se traduit et se renforce aussi dans le temps libre des élèves, où les pratiques sociales, culturelles de loisir vont soit renforcer le lien avec la culture scolaire soit creuser l’écart avec elle. Il y a une grande cohérence entre le niveau scolaire et l’appartenance à tel ou tel groupe. Plus le niveau scolaire décroît, plus l’appartenance au groupe des « isolés » grandit ; plus le niveau scolaire est élevé plus l’appartenance au groupe des « héritiers » est fréquente.
Les quatre cycles de formation scolaire tels qu’ils sont actuellement conçus ne permettent pas de réduire les inégalités de naissance et de revenus qui se traduisent dans les activités pratiquées hors temps scolaire par les collégiens de 13-14 ans.
N’y aurait-il pas là une bonne raison de s’interroger sur ce qui est effectivement enseigné à l’école et au collège et sur ce qui ne l’est pas assez ou pas du tout, pour que, à 13-14 ans, les destins soient déjà scellés au travers des loisirs comme des résultats scolaires ? Ne devrait-on pas s’interroger sur le fait que le Collège, censé conduire ses élèves à l’issue de quatre années de formation au lycée général et technologique ou au lycée professionnel (LP), ne les prépare en fait qu’au lycée général et technologique (LEGT) ? Est-il juste que l’orientation en lycée professionnel soit fondée sur l’échec à « passer au LEGT » et non pas sur un choix positif préparé par une formation ouvrant non seulement sur les savoirs académiques en cultivant les formes les plus abstraites de l’intelligence mais laissant toute sa place à l’épanouissement d’autres intelligences et de compétences de vie essentielles pour vivre en société ? N’est-il pas contradictoire qu’un parcours de quatre années décisives dans la formation de l’individu soit essentiellement construit en heures d’instruction dans les matières scolaires, sans laisser de place effective aux activités d’éducation nécessaires ?
On ne peut en tout cas s’étonner des résultats de l’enquête de la DEPP sur le temps libre des collégiennes et collégiens. Ils révèlent la contradiction entre l’objectif affiché d’un collège favorable à l’épanouissement de toutes et tous et la réalité du tri à laquelle son organisation en temps, en espaces, en heures d’enseignement, concourt au fil des ans.
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[1] Voir nos billets :
[2] https://www.education.gouv.fr/les-six-manieres-dont-les-collegiens-occupent-leur-temps-libre-343600