« Nous lutterons contre les inégalités, non pas tant en cherchant à les corriger toujours trop tard qu’en nous y attaquant à la racine. Nous ferons en sorte que tous les enfants de France aient les mêmes chances, que la méritocratie républicaine redevienne une promesse pour chacun. Pour cela, la priorité sera donnée à l’école et à nos enseignants, qui seront plus libres, plus respectés et mieux rémunérés ».
Dans les quelques lignes consacrées à l'éducation dans sa Lettre aux Français publiée le 3 mars par la presse quotidienne régionale[1], le Président candidat à sa propre succession enchaîne les lieux communs du degré zéro de la pensée éducative.
« Lutter contre les inégalités » « en nous y attaquant à la racine », oui mais comment ?
la réponse tient en une phrase qui aurait pu être écrite par Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal, candidats à l’élection présidentielle de 2007. Comparons en effet :
Macron 2022 : « Nous ferons en sorte que tous les enfants de France aient les mêmes chances, que la méritocratie républicaine redevienne une promesse pour chacun ».
Sarkozy 2007 : "La République, pour moi, c'est à chacun son mérite... C'est le miracle de la France d'aimer d'une même passion l'égalité et le mérite, le sentiment et la raison[2]".
Sarkozy 2009 : « donner une chance à chaque jeune »
Royal 2007 : "L'École, c'est la grande institution qui a montré à tous les enfants de France, et donc à tous les futurs citoyens, que le travail et le mérite pouvaient être récompensés et qu'ils pouvaient peser plus lourd que le seul privilège de la naissance. Je veux des écoles, des lycées, des collèges où l'on continuera longtemps encore de concilier l'égalité et le mérite, la solidarité et l'émulation, la citoyenneté et l'esprit critique, les classiques et le progrès technologique[3]"
On pourrait ajouter Hollande (2013) : « donner toutes ses chances[4] » à la jeunesse.
Discours on ne peut plus consensuel, certes, aucunement renouvelé, comme si, à propos de l’Ecole, le Président candidat oubliait ce qu’il écrit plus haut dans sa Lettre : « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance ». Ressasser le discours éculé sur l’égalité des chances et la méritocratie républicaine ne le gêne apparemment pas.
Mais venons-en à la suite du paragraphe consacré à l’Ecole : comment parvenir à transformer le mythe de l’égalité des chances et de la méritocratie en réalité ? « Pour cela, la priorité sera donnée à l’école et à nos enseignants, qui seront plus libres, plus respectés et mieux rémunérés ».
Priorité donnée à l’Ecole : qui pourrait aller contre ? Personne, bien évidemment. Comment cette priorité se traduirait-elle ? Par des « enseignants plus libres, plus respectés, mieux rémunérés ».
Là encore, rien de neuf. Relisons longuement la Lettre aux éducateurs[5] du nouveau Président élu en 2007, Nicolas Sarkozy :
Le respect, justement, ce devrait être le fondement de toute éducation (…) Je souhaite que nous reconstruisions une éducation du respect, une école du respect (…) Je souhaite que les élèves se découvrent lorsqu'ils sont à l'école et qu'ils se lèvent lorsque le professeur entre dans la classe, parce que c'est une marque de respect.
Professeurs, enseignants, vous aussi vous avez droit au respect, à l'estime. Votre rôle est capital (…) La Nation vous doit une reconnaissance plus grande, de meilleures perspectives de carrière, un meilleur niveau de vie, de meilleures conditions de travail (…).
Dans l'école de demain vous serez mieux rémunérés, mieux considérés et à rebours de l'égalitarisme qui a trop longtemps prévalu, vous gagnerez plus, vous progresserez plus rapidement si vous choisissez de travailler et de vous investir davantage.
Vous pourrez choisir la pédagogie qui vous semblera la mieux adaptée à vos élèves parce que je crois qu'il faut faire confiance aux enseignants, à leur capacité de jugement, parce qu'ils sont les mieux placés pour décider de ce qui est bon pour leurs élèves.
Dans l'éducation nationale, comme dans toute la fonction publique, le carcan des statuts doit s'ouvrir pour permettre que circulent les hommes, les idées, les compétences ».
La lettre de 2007 éclaire celle de 2022 : quand M. Macron parle d’enseignants plus libres, il pense bien entendu à briser ce qui reste encore du « carcan des statuts » dénoncé par M. Sarkozy. Si on pouvait désormais ne plus avoir des enseignants majoritairement titulaires, mais des enseignants majoritairement contractuels, ils seraient aussi libres que les auto-entrepreneurs de la start-up Nation, plutôt que d’être « enfermés » dans le statut de professeur obtenu à la suite d’un concours national, « contraints » à des heures de service encadrées, « condamnés » à exercer longtemps leur profession. Et leur liberté nouvelle accroîtrait « l’agilité » des écoles et établissements scolaires, qui pourraient recruter sur des contrats à durée déterminée des enseignants-kleenex…
En quelques lignes de sa lettre du 3 mars 2022, le candidat Macron recycle les propos de ses prédécesseurs de droite comme de gauche, et il n’est pas inutile d’aller à la source sarkozienne pour éclairer les ombres de la pensée macronienne.
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[4] https://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2013/01/24/donner-toutes-ses-chances-a-la-jeunesse