La Lettre de l’éducation du 3 mai et le site du ministère présentent le plan ministériel pour la sécurité des élèves, des personnels et des établissements scolaires[1] en ces termes (c’est nous qui mettons en gras) : « Face à toutes les formes de violences qui traversent notre société, l’École doit rester un sanctuaire républicain, au sein duquel la sécurité de chacun – élève, professeur, personnel de direction, agent administratif ou encore intervenant – doit être assurée en permanence. Un plan interministériel est mis en place pour déployer un bouclier autour de l'école et garantir la sécurité des élèves, des personnels et des établissements scolaires ». En cohérence avec les figures macroniennes du « réarmement » et de « l’économie de guerre » il n’est pas surprenant que le ministère déploie un « bouclier », et recoure, une fois de plus, à la figure éculée du « sanctuaire républicain », qui n’a de républicain que le nom, puisqu’il renvoie à l’école d’ancien Régime, fermée au monde.
Mais il ne s’agit là que de rhétorique. Si l’on examine le plan ministériel, on observe que les ambitions éducatives ne manquent pas.
Pour les élèves, d’abord, le premier mot d’ordre consensuel est « éduquer et prévenir ». avec notamment « de nouvelles mesures pour lutter contre toutes les formes de racisme, d’antisémitisme et de discrimination », le développement du label égalité filles-garçons et le renforcement de la prévention du cyber harcèlement et du harcèlement lgbtphobe. Il n’y a donc pas que les « cours d’empathie » chers à l’actuel premier ministre. Le second est de « réagir et protéger » avec l’engagement automatique de la procédure disciplinaire dans les cas de violence verbale ou d’acte grave à l’égard d’un membre du personnel, et d’atteinte grave aux principes de la République.
Pour les personnels, ensuite, il s’agit de « prévenir et détecter », puis de « réagir et protéger ». On notera en particulier que « toute contestation d’enseignement donne systématiquement lieu à une procédure disciplinaire ».
Pour sécuriser les enceintes scolaires, enfin, le ministère annonce notamment la création de services de défense et de sécurité académiques, l'expérimentation d'une unité mobile d'assistants d'éducation et une équipe mobile de sécurité nationale (EMS-N). On est particulièrement sensible aux objectifs fixés en terme de formation et de ressources humaines (c'est le ministère qui met en gras) :
-« Plus de 500 000 personnels formés, soit près de 48% de l’ensemble des effectifs de l’éducation nationale en deux années. Objectif de formation de 1 million de personnels en quatre ans. Près de 11 000 chefs d’établissements et adjoints formés à la réponse aux atteintes à la laïcité en 2022-2023.1000 formateurs pilotent la formation de 250 000 personnels chaque année ».
- « 150 emplois supplémentaires, 600 cadres dont 100 dédiés à l’enseignement primaire pour les équipes académiques valeurs de la république (EAVR), une cellule académique de soutien dans chaque académie, création de services de défense et de sécurité académiques, expérimentation d’un réseau d’appui éducatif (unité mobile d’assistants d’éducation), création d’une équipe mobile de sécurité nationale (EMS-N) ».
Force est de constater que la politique budgétaire effective est éloignée de ces objectifs ambitieux de formation et de ressources humaines. Faut-il rappeler que les formations ne peuvent désormais avoir lieu qu’en dehors du temps de service des personnels, afin de ne pas priver les élèves d’heures d’enseignement, que bien des personnels sont réticents à participer à des formations en plus de leur travail quotidien et que les formations déclarées obligatoires ne sont pas particulièrement motivantes pour eux ? La tendance actuelle est à la substitution aux stages de formation d'"événements académiques" plus propices à une parole descendante qu'à de réels échanges de pratiques.
Un signal particulièrement révélateur a marqué les esprits cette semaine : des courriers rectoraux adressés aux chefs d’établissement de plusieurs académies ont annoncé fin avril la réduction des dotations en heures supplémentaires et indemnités pour missions particulières, en application du décret du 21 février portant annulation de crédits. L’application qui permet la mise en paiement des heures supplémentaires devait être fermée quelques jours à compter du 29 avril. Dans le même esprit d’économie, l’instruction des projets NEFLE (notre École faisons-la ensemble) devait s’interrompre pour ne pas financer de nouveaux projets. Le ministère s’est en quelque sorte « déclaré en cessation de paiement », fait inédit souligné par le secrétaire général du syndicat des personnels de direction auprès d’AEF info. Selon le site du Monde, on apprenait le 1er mai, que « Gabriel Attal et Nicole Belloubet ont dit souhaiter « que les établissements continuent à disposer des moyens de mener à bien leurs missions », alors que la révélation de la coupe budgétaire concernant les heures supplémentaires ont suscité un tollé[2] ».
Tel est donc le « en même temps » à trois temps du ministère de l’éducation nationale : une rhétorique démagogique éculée, des promesses de renforcement éducatif destinées à apaiser le climat scolaire, et des mesures budgétaires drastiques que seule une volte-face gouvernementale a suspendues face à la colère et la sidération des personnels et de leurs organisations syndicales."En même temps" intenable à moyen ou long terme. Entre éduquer et supprimer les crédits nécessaires à cette mission, il faudra choisir. Pour trancher le débat, on suggère au premier ministre et à sa collaboratrice chargée de l’éducation nationale de "sanctuariser" le budget de l’éducation nationale en le protégeant par un "bouclier" garantissant « la priorité donnée à l’éducation nationale par le gouvernement ».
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[1] https://www.education.gouv.fr/plan-ministeriel-pour-la-securite-des-eleves-des-personnels-et-des-etablissements-scolaires-414081
[2] https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/05/01/le-gouvernement-renonce-aux-mesures-d-economie-concernant-les-heures-supplementaires-dans-les-colleges-et-les-lycees_6231024_3224.html