Voici donc lancé le débat de politique éducative de la rentrée : la crise du recrutement des professeurs. La solution ? Une augmentation de leurs traitements, actuellement bien inférieurs à la moyenne européenne. Cette apparente solution de bon sens est une réponse paramétrique. On n’interroge qu’un élément du système – le traitement, en l’occurrence- sans autre questionnement. Or, on le sait, la crise de recrutement et l’augmentation du taux des démissions d’enseignants n’est pas un phénomène français mais international. C’est donc que l’augmentation de la rétribution des professeurs n’est pas LA solution, mais seulement un élément contribuant à la solution si et seulement si on s’attache aussi à examiner ces autres éléments.
Par exemple, la formation et le recrutement des professeurs. Depuis 1989, d’IUFM en ESPE puis INSPE, les réformes n’ont pas manqué, sans jamais améliorer vraiment la situation des futurs enseignants et leurs débuts dans le métier. C’est que l’on n’a jamais touché à ce qui constitue une sorte de tabou académique. Pour être bon professeur, il suffirait d’avoir un niveau de connaissances jugé suffisant dans sa discipline de formation. Cette maîtrise est sans aucun doute précieuse, mais elle n’est en aucun cas suffisante. Ne faudrait-il pas connaître aussi l’histoire, la philosophie, la sociologie de l’éducation, les divers courants pédagogiques, le fonctionnement de l’institution scolaire et celui des établissements d’enseignement ? Ces éléments essentiels sont marginalisés dans les cursus de formation. Quant au contact avec les élèves, aux mises en situation professionnelles, elles n’interviennent que tardivement dans le parcours de formation.
On pourrait ainsi, de proche en proche, voir comment, quelque entrée que l’on choisisse, les réponses apportées se contentent de modifier un paramètre sans jamais envisager de repenser le système globalement.
Si en effet bien des professeurs éprouvent des difficultés dans l’exercice de leur métier, c’est notamment quand ils sont confrontés à des élèves pour qui les apprentissages qui leurs sont proposés ne font pas sens[1]. Comment un groupe d’élèves qui en est à sa sixième ou septième heure de cours consécutive de la journée (avec éventuellement l’impossibilité d’une pause méridienne parce qu’il y a des cours entre midi et deux) peut-il être réceptif à une nouvelle séquence d’enseignement sans lien aucun avec celles qui ont précédé ni avec celle qui suivra peut-être ? La question des emplois du temps des élèves n’est jamais au cœur des politiques éducatives. Mais cette question n’est pas une question exclusivement technique, ni exclusivement pédagogique. Ce n’est pas parce qu’on aura le meilleur logiciel d’emploi du temps, et paramétré les contraintes garantes de la qualité pédagogique de l’emploi du temps, que l’on aura résolu la question.
En effet, au delà de toutes ces approches paramétriques, une autre question devrait être absolument examinée avant toutes les autres : c’est celle des savoirs que l’on estime indispensables aux élèves de ce siècle pour poursuivre leur formation et réussir leur insertion civique, sociale et professionnelle.
En fonction des réponse que l’on apportera à cette question, le sens même du métier d’enseignant en sera transformé, et par conséquent, le contenu de leur formation, la conception de leur service d’enseignement, celle des emplois du temps des élèves, de l'évaluation de leurs apprentissages, celle des organisations des espaces et des temps dans les établissements scolaires.
Et, contrairement à la focalisation exclusive sur les enseignants, il faudra encore une fois une approche systémique pour penser à tous les personnels, éducatifs, administratifs, techniques, d’encadrement qui concourent à l’accompagnement des élèves et au bon fonctionnement des écoles et établissements scolaires, et à leur formation non pas cloisonnée mais croisée avec elle des enseignants.
Et l’on voit bien que cette question (que veut-on enseigner aux élèves ?) est une question éminemment politique. Elle ne peut recevoir une réponse d’opportunité liée à tel ou tel ministre, mais une réponse qui engage, au delà d’une majorité provisoire, la nation tout entière.
Si l’on commençait donc par là, on se donnerait sans doute une meilleure chance de trouver une réponse non pas ponctuelle et partielle, et par conséquent sans effet remarquable, à la crise du recrutement des enseignants ou du mal–être des élèves. Poser la question de la politique des savoirs en mobilisant l’ensemble des moyens d’information et de concertation susceptibles de permettre l’expression citoyenne la plus large, serait une manière inédite d’aborder le débat éducatif dans notre pays. Cela permettrait de redonner un sens fort au parcours de formation des élèves comme au parcours de formation et professionnel des personnels, en un mot au curriculum. C’est ce qu’a proposé le CICUR ce printemps en s’adressant aux candidats à l’élection présidentielle puis aux candidats aux élections législatives[2]. C’est ce qu’il propose en cette rentrée, en publiant son manifeste Contre l’école injuste ![3] qui incite à questionner l’imaginaire scolaire, à en discerner les pièges, et à repenser les savoirs à enseigner.
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[1] On en est arrivé au point où, parfois, ils ne font pas sens non plus pour les enseignants. Parmi les sources de leur malaise, comment passer sous silence la lente dégradation de leur capacité d’ingénierie pédagogique, parce que les programmes d’enseignement vont jusqu’à prescrire dans le détail non seulement ce qu’il faut enseigner mais comment il faut l’enseigner, les empêchant par là de tenir compte de la spécificité de leurs élèves et de l’environnement scientifique, culturel, économique, dans lequel ils évoluent.
[2] https://curriculum.hypotheses.org/1396
[3] https://www.esf-scienceshumaines.fr/accueil/418-contre-l-ecole-injuste.html