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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 5 mai 2016

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L’inspection : quel avenir ?

Le dernier numéro de la revue de l'AFAE, Administration et éducation, consacre son dossier aux inspecteurs territoriaux. Quel travail réel, quelles évolutions pour passer du contrôle à la médiation du changement, quelles tensions présentes et avenir ?

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Dans le numéro de mars 2016 de la revue de l’AFAE[1], coordonné par Geneviève Gaillard et Xavier Pons, Marc Bablet rappelle le sens de la racine indo-européenne "spek" : contempler, observer. L’ « in-spek-teur » serait au départ celui qui observe dedans… Ce « regard dedans » est un regard extérieur porté sur le dedans la classe et de l’établissement scolaire, sur ce qui s’y joue, en termes d’apprentissages, d’instruction et d’éducation, entre ceux qui enseignent ou éduquent et les élèves qu’ils forment. Un regard longtemps conçu pour exercer un contrôle nécessaire. A l’initiative de Condorcet, la République a voulu protéger les enseignants de tous les pouvoirs, afin de garantir l’indépendance des savoirs enseignés. Mais il faut bien alors que ces libres enseignants soient contrôlés par des serviteurs de la République,  afin qu’ils rendent compte du bon usage qu’ils font de la liberté d’enseigner qui leur est accordée.

Cette image du contrôle, et la perception qu’ont eue des générations de professeurs et d’élèves de la « visite d’inspection » ont construit un assez solide stéréotype de la fonction d’inspecteur. L’inspecteur comme contrôleur des travaux finis, celui qui au lieu d’agir est juge-spectateur, soupçonné d’évaluer des professionnels, dont il pourrait être bien en peine d’accomplir le travail de terrain harassant qui est le leur, non en fonction des élèves réels et de leur contexte d’apprentissage, mais en fonction d’attendus théoriques consignés dans des textes officiels sans lien solide avec le terrain…

La richesse des contributions à ce dossier permet de dépasser de plusieurs manières ce stéréotype.

D’une part, en montrant la diversité des métiers : ce n’est pas exactement la même chose d’être inspecteur dans le premier ou dans le second degré, dans l’éducation nationale ou l’enseignement agricole, inspecteur de discipline, ou inspecteur des établissements et de la vie scolaire, ou de l’orientation.

D’autre part, en explorant les écarts entre le travail prescrit[2] et le travail réel, travail réel que certains inspecteurs caractérisent comme un « travail en miettes ». Xavier Albanel étudie ainsi « la face cachée de l’inspection ».

Se dessinent alors, par delà la diversité des situations divers profils professionnels présentés par Xavier Sorbe[3] : l’inspecteur évaluateur, l’inspecteur accompagnateur, l’inspecteur animateur, l’inspecteur expert, l’inspecteur transversal. Cette typologie ne signifie pas que chacune de ses composantes soit exclusive des autres, elles se combinent avec des dominantes et des mineures dans chacun des inspecteurs.

Si l’on examine les titres des diverses contributions, on voit apparaître, en plus de la diversité, les termes de régulation (Xavier Pons), pilotage (Gilles Pécout), autonomie (Anne Le Mat, Marie-Danielle Minier, Jean-Yves Robichon), accompagner (Yves Zarka), gestion de la conflictualité (Alain Trintignac). Se dessine à travers ces mots clés une chaîne de sens professionnel qui est assez éclairante sur le présent et l’avenir de ces métiers, dont Jean-Pierre Panazol envisage les missions dans dix ans[4]. Par delà « le nécessaire maintien d’une forme d’évaluation–contrôle en lien avec les actes de gestion », il dégage la nécessité d’ « évaluer les enseignements, les projets et les politiques pour faciliter la prise de décision », de procéder à « l’animation pédagogique des territoires éducatifs ». Pour dépasser la tension entre l’inspection individuelle de la tradition et l’animation collective nécessaire aujourd’hui,  Jean-Pierre Panazol propose de dissocier « missions de contrôle et missions d’animation », « observation d’actes pédagogiques et inspection individuelle en tant qu’acte de gestion », de « professionnaliser sur les questions d’évaluation à portée opérationnelle et à visée formatrice » et « sur les questions d’animation d’équipe et ou de projet à dimension éducative transversale ». A terme, il propose de fusionner les différents corps et de revoir l’appellation de ce nouveau corps unique.

Cette vision prospective est en fait, en creux, un état des lieux du présent, qui souligne l’écart entre ce qui est attendu désormais des inspecteurs et  ce que l’histoire de ces corps et de l’enseignement français de second degré transmet à ceux qui le deviennent.

Le dossier permet heureusement de sortir du microcosme français pour dessiner, dans la contribution de Stéphane Kessler, la perspective d’ « un modèle commun des inspections locales en Europe » qui pourrait tenir dans le triptyque « ne pas agir, dire le vrai, penser global ». Il est aussi l’occasion d’expliciter, comme le soulignent les coordonnateurs dans leur éditorial, « certains impensés, comme la relation avec le chef d’établissement ou, de manière plus étonnante, la constitution au niveau national d’une grille d’évaluation des enseignants »

On pourra voir, dans les tensions exprimées, la résistance de la forme scolaire française canonique aux changements que voudraient impulser des politiques éducatives novatrices. Pour avoir été de bons élèves puis de bons enseignants, des inspecteurs peuvent être porteurs de cette forme scolaire, et d’une culture du cloisonnement disciplinaire identitaire, incorporées dès leur scolarité secondaire et leur formation universitaire. Et ils éprouvent en eux-mêmes cette conflictualité, ce qui peut expliquer leur sensibilité à la résistance manifestée par d’ex-collègues enseignants à des changements institutionnellement prescrits. Et permettre de comprendre l’engagement parfois mesuré de certains dans la conduite du changement vers plus d’interdisciplinarité, plus d’intégration du pédagogique et de l’éducatif, vers des parcours de formation des élèves qui ne se réduisent pas à des successions de cours et de devoirs notés.


[1] Administration et éducation, revue trimestrielle de l’association française des acteurs de l’éducation (AFAE), www.education-revue-afae.fr

[2] Voir la circulaire n° 2015-207 du 11-12-2015 Missions des inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux et des inspecteurs de l’éducation nationale

http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=96113

[3] Dans son article intitulé De la diversité des corps d’inspection et des inspecteurs

[4] Dans son article intitulé Quelles missions des inspecteurs à compétences pédagogiques en académie dans dix ans ?

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