Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

807 Billets

1 Éditions

Billet de blog 5 juillet 2023

Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

Derrière la course aux labels éducatifs, quelles réalités ?

Et un label de plus ! L’inflation des labels éducatifs ne serait-elle pas le cache-misère de la carence éducative de la politique des savoirs actuelle ?

Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On connaissait déjà les labellisations numérique[1], E3D[2], Édusanté[3], Égalité filles-garçons[4], Euroscol[5] ou Génération 2024[6]. Ce n’était pas assez, voici que la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) lance, par une note de service du 23 juin, les labels « Classes engagées » et « Lycées engagés »[7] pour une entrée en vigueur dès l'année scolaire 2023-24.

En lycée professionnel, par exemple, « le label « classe engagée » sera attribué aux classes de seconde et de première année de CAP par un comité académique en fonction de ces critères pédagogiques. Le label « lycée engagé » pourra aussi être attribué à des établissements qui feront de l’engagement un axe central de leur projet d’établissement et comporteront au moins deux « classes engagées » en seconde ou première année de CAP dès 2023-2024 ». Cet engagement a une coloration particulière : « l’intégration du séjour de cohésion du service national universel (SNU) sera une des constituantes et un pilier du projet pédagogique de la classe engagée. Les lycées recevront une dotation financière d’un montant de 1 000 € par classe engagée, pour financer des projets pédagogiques d’engagement en lien avec le projet de classe ».

Cette nouvelle labellisation, poursuit le ministère,  « peut s’appuyer sur l’existant (les labellisations E3D, Édusanté, Égalité filles-garçons, Euroscol ou Génération 2024), sur les dispositifs tels que les classes de défense et de sécurité globale (CDSG)[8], ou encore sur la participation aux concours mémoriels, auxquels elle apporte de nouvelles dimensions liées à la cohésion, à la résilience et à l’engagement ».

Comme le souligne le DGESCO dans son courrier aux chefs d’établissements, « cette labellisation constitue un réel levier de pilotage pour l’établissement : elle permettra de fédérer les équipes autour d’un projet interdisciplinaire et de renforcer les partenariats de l’établissement ».

On peut observer à cette occasion la représentation que le ministère se fait du pilotage de l’établissement scolaire. Pour fédérer les équipes, il vaut mieux partir du cahier des charges d'un label national, et donc répondre à une commande ministérielle, avec une dotation financière à la clé, plutôt que de partir du collectif de l’établissement, des projets qui s’y construisent en fonction des besoins et des ressources locales. Si les établissements scolaires disposent depuis 1985 « en matière pédagogique et éducative d'une autonomie », il ne faut pas oublier qu’elle « s'exerce dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur ainsi que des objectifs pédagogiques et éducatifs fixés par le ministre de l'éducation nationale et les autorités académiques », selon les termes mêmes de l’article 2 du décret du 30 août 1985. Les multiples labels mis en place par le ministère visent à concrétiser les objectifs pédagogiques et éducatifs du ministère, à récompenser les établissements qui y concourent, et à inciter les établissements à une course aux labels qui peuvent avoir leur rôle lors du choix de l’établissement d’affectation par les familles informées en recherche de la meilleure qualité d’enseignement et d’éducation. Il faut tenir compte de tout cela quand, en conseil pédagogique puis en conseil d’administration, on débat de la politique pédagogique et éducative de l’établissement.

Voici donc la culture de l’engagement qui « favorise l’action collective, la prise de responsabilités et l’initiative » et «  développe chez l’élève le sens des responsabilités individuelles et collectives », distinguée par un label. On remarque, une fois de plus, que ce label, comme tous les autres, n’est accompagné d’aucune transformation des savoirs enseignés aux élèves. On veut certes développer le sens des responsabilités individuelles et collectives chez les élèves, mais se préoccupe-t-on le moins du monde de la contradiction entre cet objectif éducatif louable affiché et la réalité d’épreuves d’examen qui demandent à l’élève, comme à l’oral de l’épreuve anticipée de français du baccalauréat, de réciter un commentaire de texte appris par cœur[9], ou qui, en terminale, aux épreuves de spécialité, transforment l’enseignement en gavage épuisant pour les élèves comme pour les professeurs[10] ? On est loin alors, dans cette réalité scolaire vécue au quotidien, de susciter la prise de responsabilité qui caractérise la culture de l’engagement…

Les labels sont logés à la même enseigne que les multiples « éducations à » : indéniablement, ils affichent dans les mots et les discours des objectifs éducatifs qui ont le plus grand mal à trouver leur place dans un système d’enseignement cadenassé par des programmes que professeurs et élèves peinent littéralement à « boucler » dans les temps impartis. Dans la politique des savoirs conduite depuis trop longtemps, l’éducatif est toujours de fait marginalisé.

Un label ne peut donc être qu’un trompe l’œil par rapport à la réalité de la vie des élèves qui est pourtant organisée ainsi nationalement par le ministère, organisation sur laquelle les établissements scolaires n’ont aucunement la main.

Il n’est pas sûr que le ministère, s’il candidatait au label « ministère engageant », obtiendrait des établissements scolaires sa labellisation.

__________________________________________________

[1] https://www.ac-montpellier.fr/labels-numeriques-124373

[2] https://eduscol.education.fr/1118/la-labellisation-e3d

[3] https://eduscol.education.fr/2063/je-souhaite-m-engager-dans-la-demarche-ecole-promotrice-de-sante

[4] https://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo11/MENE2207942C.htm

[5] https://eduscol.education.fr/1098/euroscol-le-label-des-ecoles-et-des-etablissements-scolaires

[6] https://eduscol.education.fr/962/le-label-generation-2024

[7] https://www.education.gouv.fr/bo/2023/Hebdo26/MENG2317479N

[8] https://eduscol.education.fr/3664/les-classes-de-defense-et-de-securite-globales-et-les-cadets

[9] On lira à ce propos la récente tribune de Thomas B. Reverdy, publiée dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/24/rendons-les-jeunes-a-la-lecture-au-plaisir-du-texte-aux-jeux-de-l-ecriture_6179012_3232.html

[10] L’absurdité pédagogique de cette organisation a été relevée notamment dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/01/31/bac-2023-en-terminale-pour-passer-les-epreuves-de-specialite-en-mars-on-court-apres-chaque-heure_6159928_3224.html

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.