Un récent rapport de l’UNICEF France, Réussir à l’École quand on ne maîtrise pas le français[1], apporte des informations importantes pour saisir l’importance du sujet et ouvre des perspectives de transformation qui sortent heureusement des sentiers battus des recettes ressassées qui ne résolvent en rien la question posée.
Du diagnostic, nous retiendrons quelques données essentielles. Plus d’un tiers des enfants de 6 à 18 ans en France déclarent parler une autre langue que le français à la maison[2]. Ce chiffre représenterait plus de 4 millions d’entre eux[3]. En moyenne dans le monde, les enfants qui reçoivent un enseignement dans une langue qu’ils parlent à la maison ont 30 % de chances supplémentaires de lire et de comprendre ce qu’ils lisent à la fin de l’école primaire que ceux qui ne parlent pas la langue d’enseignement[4].
Si, en France, on peut se féliciter que 77 433 élèves en France aient été scolarisés dans les dispositifs spécifiques pour élèves allophones en 2021-2022, soit 20% de plus que l’année précédente, on mesure ce qu’il reste à accomplir, en tenant compte du fait que, d’autre part, 121 000 élèves en France apprenaient une langue régionale à l’école, dont 11,5 % (14 021 élèves) en enseignement bilingue immersif. Chez ces derniers, la grande majorité habitait en France hexagonale, dans les réseaux associatifs immersifs (établissements privés sous contrat).
Les objectifs affichés par UNICEF France sont clairs : améliorer l’accès aux dispositifs soutenant l’acquisition du français, améliorer la qualité des dispositifs spécifiques pour permettre l’acquisition du français, améliorer l’inclusion en classe ordinaire, au fil de l’accueil au sein des dispositifs spécifiques et à leur sortie, prendre appui sur les langues premières pour favoriser la réussite éducative, réunir les conditions de la réussite des élèves allophones à l’école.
Nous ne reprendrons dans ce billet que le quatrième d’entre eux en notant les mesures proposées pour parvenir à s’appuyer sur les langues premières pour favoriser la réussite des élèves.
- Mesure 4.1 Instaurer, pour les langues régionales, un cadre juridique plus protecteur du droit à apprendre dans sa langue première.
- Mesure 4.2 Adopter une politique plus volontariste en faveur du développement de l’enseignement bilingue immersif des langues régionales ultramarines.
- Mesure 4.3 Donner à davantage de langues premières des élèves allophones une place officielle à l'école.
- Mesure 4.4 Visibiliser les langues premières des élèves et accompagner les enseignants pour une meilleure prise en compte de l’ensemble de langues de leurs élèves en milieu ordinaire et dans les dispositifs spécifiques.
- Mesure 4.5 Expertiser la faisabilité d’une certification des langues premières des élèves allophones dans le livret scolaire, au même titre que et les autres langues vivantes étrangères.
Il y a, dans ces propositions, une rupture à la fois théorique et pratique avec le modèle du français, langue unique de l’enseignement et gage d’une parfaite intégration dans la communauté des citoyens. Comme nous l’apprennent des expériences étrangères, telle que celle de la Finlande, penser au rôle bénéfique des langues premières à l‘École pour favoriser tous les apprentissages, y compris et d’abord celui du français, penser la culture du citoyen français du 21e siècle comme plurilingue, répondent aux besoins d’inclusion dans l’école et la société.
Mais, outre cette officialisation des langues premières à l’école, il faudra répondre aussi aux questions posées aux contenus d’enseignement par Frédéric Miquel dans son récent ouvrage Notre École[5], qui plaide pour la scolarisation des enfants de familles gitanes : « Et si votre culture avait un peu plus de place dans ce qui est enseigné à l’école ? Si dans les livres où on apprend à lire, des personnages portaient les prénoms originaux que vous donnez à vos enfants ? (…) Si vous étiez davantage présents dans l’histoire enseignée et dans les personnalités dont parlent les programmes scolaires ? S’il y avait d’autres Gitanes que Carmen et Esmeralda, qui sont toujours des femmes magnifiques mais qui pactisent un peu avec le diable ? Si les Gitans des histoires n’étaient pas plus ou moins des voleurs et des criminels ? Si on parlait davantage de leur internement dans les camps de concentration, (…) ? Si l’école, la société, l’histoire étaient aussi les vôtres de manière très concrète ? Et si vous écriviez aussi cette histoire ? ».
On ne saluera jamais suffisamment l’engagement éducatif des équipes qui interviennent dans l’accueil et la scolarisation des élèves allophones coordonnées par les CASNAV, Centres académiques pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs. Mais, pour parvenir à transformer radicalement la situation, réussir l'inclusion de toutes et tous à l'école, sans doute faut-il, comme le propose l’UNICEF France, penser à donner sa place aux langues premières dans la scolarisation de plus d’un tiers de nos élèves, et enrichir la palette de nos personnages, récits, héroïnes et héros, en sortant définitivement de stéréotypes qui permettent d’affirmer que l’École telle qu’elle est aujourd’hui, n’est pas vraiment faite pour elles et eux.
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[1] https://www.unicef.fr/wp-content/uploads/2024/09/Rapport-unicef_ALL-BDplanche.pdf
[2] Cette moyenne cache de grands écarts : Près de 70 % des enfants scolarisés en Guyane parlent une langue maternelle différente du français, parmi la trentaine de langues vernaculaires du territoire. Cette proportion représente la quasi-totalité des enfants vivant à Mayotte. (L'enseignement scolaire en outre mer : des moyens à mieux adapter à la réalité des territoires : Rapport d'information n° 224 (2020-2021) de M. Gérard LONGUET, fait au nom de la commission des finances, déposé le 10 décembre 2020)
[3] La jeunesse à bonne école ? Consultation nationale des 6-18 ans, UNICEF France, 2021 et Consultation nationale des 6-18 ans 2023-2024, UNICEF France, à paraître en novembre 2024
[4] UNESCO, Learning achievement in reading (End of primary) World Inequality Database on Education – Learning achievement in reading (End of primary) (education-inequalities.org)
[5] Frédéric Miquel, Notre École Appel à ceux qui lui manquent, A la rencontre des familles gitanes, Champ social, 2024-