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Billet de blog 6 février 2025

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« Choisir ses études » : un horizon encore bien mal partagé

Si un discours international préconise l’autonomie des élèves et de leurs familles dans le choix des études, les cas présentés dans ce dossier de la Revue internationale d’éducation de Sèvres montrent l’inégale liberté de choix selon les pays mais aussi dans chaque pays, selon les milieux sociaux.

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Si le dossier du n° 97 de la Revue internationale d’éducation de Sèvres s’intitule « Choisir ses études », il suffit de parcourir la rubrique d’actualité internationale de ce numéro pour mesurer combien ce choix est hors de portée de ceux qui reçoivent une « éducation en situation d’urgence », ou qui vivent dans un pays comme le Mozambique ou dans un pays comme la France en appartenant à une famille gitane[1]. Le dossier lui-même offre un aperçu très riche et diversifié d’études de cas, nous conduisant de Dubaï à l’Uruguay, en passant par l’Espagne, la Chine, le Burundi, l’Australie, l’Algérie, l’Estonie, l’Allemagne et la France. Le dossier permet de mesurer, comme l’indique Thierry Chevaillier dans son introduction, « portée et limites de la liberté de choix en éducation ».

Dubaï en offre un exemple emblématique avec « le mirage de la liberté totale ». Cette liberté n’est pas partagée de la même manière par tous, selon que l’on est dubaïote ou étranger, dans le système public ou le système privé, lui-même divisé en multiples curriculums (britannique, indien, américain, allemand…), familier de l’excellence académique ou non, fortuné ou non : toutes les familles ne sont pas à égalité de choix dans ce marché scolaire cosmopolite. En Australie également, le choix des familles est prédominant, mais ce choix est large ou limité selon les ressources dont elles disposent, l’ensemble de l’offre se caractérisant par sa stratification et sa ségrégation.

A l’inverse, en Algérie, l’exercice du choix est excessivement contraint par les capacités d’accueil variables selon les territoires, l’exigence hors de portée des critères d’admission, le rôle déterminant des notes par rapport aux souhaits des élèves et étudiants.

Deux études de cas s’intéressent aux formations sportives. L’étude de cas chinoise illustre la part essentielle des stratégies parentales dans des choix comme la formation des jeunes au football : pour les catégories sociales favorisées, il s’agit d’investir dans une opportunité éducative source de prestige, alors que pour des groupes défavorisés ce ne peut être qu’une bouée de secours. Au Burundi, on observe que l’orientation vers l’institut d’éducation physique et des sports se fait contre la volonté de la majorité des étudiants, mais que ceux-ci s’y adaptent.

Trois études de cas traitent de la relation inégalitaire entre formation générale et professionnelle. En Estonie, c’est un conflit structurel entre voie académique choisie positivement et voie professionnelle choisie par défaut, alors qu’en Allemagne, l’offre différenciée entre formation générale et professionnelle conduit également à des choix fortement déterminés par l’origine sociale des élèves. En Uruguay, l’orientation professionnelle, à l’âge de 15 ans, est également souvent « choisie » par les jeunes issus de familles à faibles revenus et le taux de diplomation bien plus élevé pour ceux issus de milieux favorisés. L’étude de cas espagnole s’intéresse à l’abandon scolaire précoce dans l’enseignement secondaire espagnol, qui touche inégalement les milieux sociaux. On est là aux antipodes du « choix des études », puisqu’on s’en retire avant la fin du parcours. Et on voit ainsi peser sur les choix positifs ou négatifs l’origine sociale des élèves.

L’article de Marie Duru-Bellat sur la France déconstruit l’imaginaire d’une orientation scolaire récompensant le mérite académique, en soulignant les multiples contraintes inégales qui pèsent sur les « choix» d’orientation : risque de l’échec, origine géographique, stéréotypes de genres…, les carrières scolaires étant fortement marquées par l’origine sociale des élèves. On pourrait ajouter à ce tableau français les procédures d’orientation destinées à garantir non pas le choix de leurs études par tous les élèves, mais la circulation des élèves et leur aiguillage vers des filières où le dernier mot, en cas de désaccord, leur échappe, comme le montre Bernard Desclaux dans l’ouvrage Oser une école commune Savoir et agir pour faire société[2] et comme le confirme, pour l’année scolaire en cours, le site du ministère de l’éducation nationale[3].

A l’issue de ce tour d’horizon, il apparaît en effet que, si la liberté de choix est inégale selon les pays, elle l’est également selon les milieux sociaux dans la plupart des pays. Il y a là sans doute une question démocratique de fond, qui pose également la question des choix curriculaires : à promouvoir un enseignement dominé par la recherche d’une excellence académique, on organise délibérément une voie générale de formation choisie positivement et une voie professionnelle "choisie" souvent par défaut, alors qu’un curriculum bien plus équilibré entre des apprentissages et des savoirs bien plus ouverts et divers que ceux qui dominent le plus souvent à l’école permettrait sans doute de faire reculer l’abandon scolaire et de substituer à la violence de l’orientation imposée une liberté de choix affranchie des déterminismes sociaux.

Un podcast permet d'entrer aisément dans le coeur de ce dossier https://podcast.ausha.co/france-education-international-l-education-ici-et-ailleurs/episode-10-choisir-ses-etudes-ries-n097

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[1] Notre école. Appel à ceux qui lui manquent. À la rencontre des familles gitanes, Frédéric Miquel, Champ social, 2024

[2] Bernard Desclaux, « L’orientation comme circulation des élèves Ses conséquences sur le fonctionnement du collège français », in Oser une école commune, Savoir et agir pour faire société, Berger-Levrault, 2025, pages 145-157.

On lira aussi avec intérêt son éditorial récent sur le blog du CICUR "L'orientation en fin de troisième: trois mystères et une question" https://curriculum.hypotheses.org/8324

[3] « La décision d’orientation du chef d’établissement est déterminante pour pouvoir poursuivre la demande d’admission dans une formation relevant de cette voie. Par exemple: Si l’élève et sa famille ont demandé une seconde générale et technologique mais que l’avis du conseil de classe ne valide pas ce choix d’orientation, l’élève ne pourra pas être admis en seconde générale et technologique ».

https://www.education.gouv.fr/reussir-au-lycee/l-orientation-en-3e-et-l-affectation-en-lycee-9257

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