La loi d’orientation pour l’avenir de l’école, dite loi Fillon, a fixé clairement, le 23 avril 2005, le cap éducatif en France. Le code de l’éducation en porte la trace. Le troisième alinéa de l’article L111-1 est ainsi rédigé :
« Pour garantir ce droit dans le respect de l'égalité des chances, des aides sont attribuées aux élèves et aux étudiants selon leurs ressources et leurs mérites. La répartition des moyens du service public de l'éducation tient compte des différences de situation, notamment en matière économique et sociale. »
L’école s’engage ainsi à œuvrer pour l’égalité, une des valeurs de la République, sous la forme de l’égalité des chances.
Il n’est pas inutile d’examiner comment, depuis 2005, et notamment au cours de l’actuel quinquennat qui s’achève, la politique éducative conduite a effectivement promu l’égalité des chances et l’excellence. De la Lettre aux éducateurs du 4 septembre 2007, dans laquelle le Président de la République fixait le cap éducatif de son quinquennat, on retiendra notamment cet engagement :
« Je veux vous dire (…) que je suis décidé à faire en sorte que plus aucun enfant ne soit livré à lui-même une fois la classe terminée afin que vous puissiez achever votre journée de travail sans éprouver l'angoisse de savoir votre fils ou votre fille sans surveillance, sans encadrement. Désormais les devoirs seront faits à l'école, en études surveillées et pour les bons élèves issus des familles les plus modestes qui ne peuvent pas offrir à leurs enfants un cadre propice à l'étude, des internats d'excellence seront créés. »
Effectivement, dès la rentrée 2007, tous les collèges de l’éducation prioritaire et, dès la rentrée 2008, tous les collèges ainsi que les écoles de l’éducation prioritaire ont mis en place un accompagnement éducatif hors temps scolaire d’une durée indicative de deux heures, quatre jours par semaine. Dès la rentrée 2009 un premier internat d’excellence ouvre à Sourdun, suivi de 12 autres à la rentrée 2010 et de 13 autres à la rentrée 2012, scolarisant 2400 élèves « motivés, ne bénéficiant pas d'un environnement favorable pour réussir leurs études. »[1]
Le lien entre ces deux mesures traduit bien la double démarche de l’institution scolaire.
D’une part, offrir à tous, en collège, un accompagnement éducatif. D’autre part fournir aux élèves réputés les plus motivés, parmi ceux ne bénéficiant pas d’un environnement favorable à la réussite scolaire, des conditions d’encadrement remarquables en internat d’excellence.
Dans un même collège au public populaire, l’ensemble des élèves est éligible pour les quelques heures d’accompagnement éducatif (8 au maximum par semaine), les meilleurs d’entre eux peuvent bénéficier d’une place en internat d’excellence.
On ne peut que se réjouir de voir des enfants de milieu populaire bénéficier d’un encadrement éducatif remarquable. Mais, en sortant ces élèves méritants de leur collège d'origine, facilite-t-on aussi la réussite de ceux qui y restent et le travail des équipes qui les encadrent ? Ce n’est pas sûr.
On retrouve ici une constante de l’école française. Il s'agit du souci de dégager une élite, par un processus continu de distillation qui conduit, par exemple, les meilleurs élèves ayant obtenu le baccalauréat avec mention à entrer dans des classes préparatoires aux grandes écoles, puis dans ces grandes écoles. A 15 ans, les jeux sont déjà faits si l'on en croit les performances des élèves français aux évaluations organisées par l’OCDE (PISA, 2009). Les élèves français de 15 ans qui sont en première caracolent en tête de tous les élèves de l’OCDE, ceux qui sont en seconde générale et technologique arrivent juste après les élèves finlandais, mais tous les autres (en troisième, en seconde pro, en quatrième), arrivent en fort mauvaise position, en dessous de la moyenne des élèves turcs ou mexicains par exemple. Entre 2000 et 2009, le pourcentage d’élèves français parmi les plus performants passe de 8,5 à 9,5 %, parmi les moins performants passe de 15,2 à 19,8 %. C’est dire que notre pays tend à augmenter d’avantage sa part d‘élèves en difficulté à 15 ans que sa part d’élèves performants au même âge.
Si l’on ajoute à ces données, le fait que La France se situe dans les pays de faible performance (en moyenne, selon les compétences entre le 22e et le 27e rang) et de fort impact socio-économique sur la performance, on se rend compte que, loin de tenir son engagement d’égalité des chances, l’école de la République tend à conforter les inégalités sociales et culturelles entre les enfants qu’elle scolarise.
Faut-il alors considérer que les politiques dites d’excellence sont nocives ? Que les conventions passées entre Sciences Po et les lycées de l’éducation prioritaire, que la classe préparatoire aux études supérieures en CPGE ouverte au lycée Henri IV pour les bacheliers méritants issus de milieux populaires, doivent être considérées comme des trompe l’œil ?
Autant elles constituent pour ceux qui en bénéficient un bon moyen de s’ouvrir, par le travail scolaire qu’ils fournissent et l’encadrement spécifique qui les accompagne, un parcours de réussite qu’ils n’auraient pas effectué sans elles, autant elles ne permettent pas de modifier significativement les tendances lourdes qui caractérisent le fonctionnement de notre école : la réussite scolaire reste profondément liée à des caractéristiques socio-culturelles, la promotion des meilleurs ne profite qu’aux meilleurs.
Pour réaliser une égalité des chances réelle, tout reste donc à faire. L’objectif de la scolarité obligatoire est clairement défini depuis 2006 : la maîtrise du socle commun de connaissances et de compétences par tous les élèves. C’est donc dès l’école et le collège que se joue la crédibilité de la promesse républicaine d’égalité. On pourrait imaginer de restaurer pour tous les élèves de tous les établissements scolaires un régime équilibré entre les heures d’enseignement ou de classe, et les heures d’étude favorable à l’assimilation des cours, au travail personnel, à l’apprentissage des leçons et, aujourd’hui, à la recherche d’information et au travail de groupe. Cette organisation, c’est celle qu’avait imaginée le premier empire pour les lycéens du début du XIXe siècle, tous issus de l’élite sociale. Cet encadrement des études, mis en place dans les internats d’excellence, ne devrait-il pas, au nom de l’égalité des chances, être garanti à tous aujourd’hui ?
Il resterait alors – et ce n’est pas rien !- à réduire les effets constatés à l’école du séparatisme social[2] à l’œuvre dans la société française, qui transforment certains établissements scolaires en ghettos de relégation, soigneusement contournés par tous ceux qui sont en position d’y échapper. Il ne s’agit plus ici seulement de politique éducative, mais de politique sociale, urbaine, territoriale, d’emploi. La question éducative est bien, on le voit, une question de politique globale, et non pas seulement de politique sectorielle.
[1] http://www.education.gouv.fr/cid50541/les-internats-d-excellence.html
[2] Maurin, Eric, Le ghetto français, Seuil-la République des idées, 2004