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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 6 octobre 2023

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« Choc des savoirs » : un électrochoc réactionnaire

Qui pourrait douter du bien fondé de mettre les savoirs au coeur du débat éducatif ? Mais le « choc des savoirs » annoncé par le ministre est un électrochoc réactionnaire.

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Le ministre de l’éducation nationale affiche dans un entretien publié hier dans Le Monde[1] sa volonté d’ « engager une bataille pour le niveau de l’école », en lançant une mission « exigence des savoirs ». Comme il affirme au cours de cet entretien que « les inégalités sociales n’expliquent pas tous les écarts », et que « la pédagogie peut renverser la sociologie », on pourrait penser que le ministre va proposer à la mission qu’il annonce d’examiner les savoirs scolaires tels qu’ils sont organisés, hiérarchisés, afin d’établir des recommandations permettant de changer l’actuelle politique des savoirs.

Mais il n’en est rien. Le ministre précise en effet d’entrée de jeu sa pensée et la martèle ensuite : « il y a une forme d’urgence à élever le niveau sur les savoirs fondamentaux, les mathématiques et le français », « nous avons engagé un plan massif de formation des professeurs des écoles en mathématiques et en français », « les priorités sont données au français et aux mathématiques ».

En matière de politique des savoirs, il ne faut attende aucune inflexion, mais au contraire le renforcement du trait sur les « savoirs fondamentaux » réduits au français et aux mathématiques. Les journalistes ont beau faire observer au ministre que « nous sommes l’un des pays de l’OCDE qui consacrent le plus de temps à l’enseignement de ces « savoirs fondamentaux », le ministre tient fermement sa ligne.

Cette ligne est cohérente, elle vise l’école, le collège et le lycée, l’ensemble du cursus de l’enseignement scolaire donc. Il s’agit d’une reprise en mains réactionnaire qui ne laisse rien au hasard : ni « l’organisation de la scolarité en cycles qui ne permet pas toujours de disposer des éléments indispensables à la progression des apprentissages », ni la mixité des niveaux scolaires dans les classes au collège désormais modulaire « où le français et les maths seraient plutôt organisés en groupes de compétence », ni le pluralisme de l’offre des manuels scolaires – « en primaire notamment, il y a trop d’hétérogénéité dans les ouvrages proposés[2] »-, ne sont épargnés, pas plus que la formation initiale des maîtres, qui ne satisfait personne, pour laquelle « nous voulons inventer les écoles normales du XXIe siècle ».

Le ministre ne doute pas : il « assume totalement (ses) choix », il « ne croit pas à la crise des vocations », s’il s’appuie parfois sur « certaines données (…) éloquentes », quand d’autres contredisent son propos, il ne les prend pas en considération, comme c’est le cas sur la crise du recrutement et les démissions de nouveaux enseignants, ou sur la part accordée aux « savoirs fondamentaux ».

La politique des savoirs portée par le ministre est donc fidèle à celle héritée du passé, avec une hiérarchisation renforcée des savoirs scolaires (les prétendus fondamentaux vs tous les autres) et des élèves en fonction de leur niveau, et une normalisation de l’édition, du choix et de l’utilisation des manuels scolaires. Cette approche est à l’opposé de celle de l’école républicaine. Elle n’est absolument pas en résonance avec les grandes questions éducatives et politiques de notre temps : qui peut penser sérieusement que c’est en se focalisant sur des savoirs déjà dominants dans les enseignements qu’on préparera au mieux les générations futures à se repérer dans un monde complexe et incertain et à se sentir solidaires de l’humanité et coresponsables de l’avenir de la planète ? Il y a loin de ces savoirs étriqués, cloisonnés à l’ambition d’un savoir relation qui relie pour les élèves les savoirs entre eux, les savoirs et l’action, chaque élève aux autres humains et à la planète, savoir relation qui répondrait aux exigences de notre siècle.

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[1] https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/05/gabriel-attal-nous-devons-engager-une-bataille-pour-le-niveau-de-notre-ecole_6192600_3224.html

[2] Rappelons que l’édition scolaire française associe en effet trois libertés : la liberté de production (l’édition des manuels est privée, indépendante du pouvoir politique), la liberté de choix et la liberté d’utilisation. Cette triple liberté est garante de l’abondance, de la diversité et de la qualité de l’offre éditoriale. La France n’a connu une édition d’Etat que pendant une période très limitée, entre 1793 et 1796.
(décret Bouquier du 19/12/1793 annulé par la loi du 26/08/1796)

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