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Billet de blog 6 novembre 2023

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« Grille d’autoévaluation » nationale pour les collégiens : des biais possibles

Mieux connaître la réalité du harcèlement scolaire est un objectif parfaitement louable. Il n’est pas sûr que la grille d’autoévaluation proposée aux collégiens en cette rentrée de novembre permette d’en apprécier très justement l’ampleur.

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« Pour mieux comprendre certains problèmes qui peuvent se passer entre collégiens », les collégiens, comme les lycéens, sont invités à enseigner une grille d’autoévaluation nationale. Cette grille questionne sur le rapport au collège, les relations au collège, sur internet et sur les écrans, et se conclut par des questions explicitant la réponse à la question « comment te sens-tu ? ».

Il n’y a là rien à redire. Mais quand on examine les questions posées, auxquelles la collégienne ou le collégien doit répondre en cochant une case correspondant à "jamais, parfois, souvent ou très souvent", on est immédiatement frappé par le contenu des questions.
Sur le rapport au collège, par exemple, il n’est question que de peur d’aller au collège, sur le trajet, en récréation, de sécher les cours à cause des relations aves d’autres élèves, d’être exclu(e) par d’autres de groupes de travail, de notes qui baissent et de démotivation à cause de ce que l’élève vit au collège.

De quelle autoévaluation s’agit-il si, à aucun moment, le collégien ou la collégienne ne sont questionnés sur le plaisir de retrouver des camarades sur le chemin du collège ou en cours de récréation, sur les bienfaits de la coopération entre élèves lors de certains cours ou activités scolaires, sur la motivation, l'écoute bienveillante apportée par des personnels du collège ou des camarades ?

Il en va de même pour l’ensemble du questionnaire. A la question « comment te sens-tu ? », les réponses possibles sont « avoir du mal à faire ses devoirs, avoir du mal à s’endormir ou faire des cauchemars, avoir mal au ventre ou à la tête, être en colère ou agressif sans savoir pourquoi, se sentir triste, seul(e) à cause de ce qu’on vit au collège».

Les questions à sens unique, tout au long des deux pages de l’enquête, ne vont-elles pas induire des réponses qui auraient pu être différentes si le questionnement portait aussi sur d’autres perceptions que les négatives ?

Quel collégien, quelle collégienne n’hésitera pas à cocher la case « jamais » pour répondre à une question comme « est-ce qu’un ou plusieurs élèves t’ont déjà bousculé(e) volontairement ? » ou « as-tu été embêté aux toilettes ou dans les vestiaires par un ou plusieurs élèves ? »

On touche là aux limites de cet exercice. Vouloir mieux prendre la mesure des phénomènes de harcèlement à l’école est parfaitement louable. Mais proposer aux élèves une grille d’autoévaluation exclusivement composée de réponses évoquant des situations potentielles de harcèlement risque de renforcer le sentiment d’insécurité des élèves et d’occulter, pour ceux qui vont dépouiller l’enquête, toute expression possible d’un relatif bien-être des élèves au collège.

Or, dans bien des collèges, les équipes éducatives, des conseils de viecollégienne se sont emparés de la question du bien-être et ont mené avec succès des démarches pour  instaurer de bonnes conditions de travail pour tous, élèves et adultes[1]. Dans Le bonheur, une révolution pour l’école, publié en 2021, Jean-Louis Durpaire et moi avons recueilli sur le bonheur d’apprendre et celui d’enseigner, des propos d’élèves et de personnels enseignants, d’éducation, de direction. Dans une enquête menée pas notre laboratoire BONHEURS lors du premier confinement auprès d’élèves de plusieurs académies, nous avons recueilli auprès d’elles et eux l’expression que ce qui leur avait manqué le plus, durant ces longues semaines sans collège, c’était le contact avec les camarades, notamment aux récréations. Cela fait partie aussi de ce que vivent les collégiennes et collégiens au quotidien. Il est dommage que la grille d’autoévaluation reste muette sur cette dimension : l’éclairage qu’elle veut apporter sur la réalité du harcèlement à l’école s’en trouverait renforcé, et les réponses qu'elle propose n’induiraient pas la représentation d’un collège où l’on ne peut être que rarement, souvent ou très souvent malheureux, victime de harcèlement physique et numérique. Rappelons que la direction de l’évaluation de la performance et de la prospective (DEPP) du ministère conduit régulièrement des enquêtes nationales de climat scolaire auprès des personnels et des élèves. Comme l’indique le ministère lui-même, « Pour les élèves, il s’agit des dimensions suivantes :

  • le climat scolaire : ambiance dans l’école ou l’établissement scolaire, dans la classe, relation avec les pairs, l’enseignant et les autres adultes de l’école ou l’établissement scolaire ;
  • l’expérience scolaire : le regard de l’élève sur l’apprentissage, les locaux, la cantine, les activités périscolaires, etc. ;
  • les éventuelles atteintes subies[2] ».

Il est dommage que la grille d’autoévaluation proposée en cette rentrée de novembre ne permette pas de saisir dans toutes ses dimensions le regard de l’élève sur ses relations avec ses pairs, en ne lui offrant que la possibilité de s’exprimer de manière unilatérale. Il n'est pas sûr qu'elle contribue effectivement à mieux connaître la réalité de l'expérience scolaire des collégiennes et collégiens, dont le harcèlement est une part souvent invisibilisée qu'il importe de mieux connaître sans ignorer pour autant toute la richesse apportée par les relations ente pairs au collège.

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[1] Christian Garcia & Caroline Veltcheff, Oser le bien-être au collège, le Coudrier, 2016

[2] https://www.education.gouv.fr/les-enquetes-nationales-de-climat-scolaire-et-de-victimation-323459

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