Le Président de la République élu hier a déclaré dans son discours de Tulle :
« Aujourd'hui même où les Français m'ont investi président de la République, je demande à être jugé sur deux engagements majeurs: la justice et la jeunesse.
Est-ce juste? Et est-ce vraiment pour la jeunesse? Et quand, au terme de mon mandat, je regarderai à mon tour ce que j'aurai fait pour mon pays, je ne me poserai que ces questions: est-ce que j'ai avancé la cause de l'égalité? Et est-ce que j'ai permis à la nouvelle génération de prendre toute sa place au sein de la République? »
C’est de ce point de vue qu’on peut interroger une des mesures éducatives significatives du quinquennat qui s’achève : l’assouplissement de la carte scolaire, que la circulaire n° 2012-056 du 27-3-2012 parue au Bulletin officiel de l’éducation nationale n°13 du 29 mars 2012 inscrit parmi les Orientations et instructions pour la rentrée 2012.
« L'assouplissement de la carte scolaire[2] donne priorité aux demandes des élèves qui souffrent d'un handicap ou qui bénéficient d'une prise en charge médicale à proximité de l'établissement demandé. Le dispositif offre une plus grande égalité des chances en donnant une priorité aux élèves boursiers. La qualité et la transparence de l'information sont garanties par :
- la mise en ligne sur chaque site académique des informations relatives aux procédures d'affectation et de dérogation et des critères de sélection retenus par chaque inspection académique dès le mois de janvier ;
- la mobilisation des relais présents dans les quartiers populaires (équipes de réussite éducative, personnels des centres sociaux, assistantes sociales, adultes-relais, etc.) afin d'informer et d'aider les familles de milieux modestes. »
Chacun se souvient de l’objectif affiché au début du quinquennat qui s’achève. Sur le portail du gouvernement figure toujours le communiqué du 31 août 2007[3] intitulé L’assouplissement de la carte scolaire, qui indique, en gras et en introduction, « la disparition progressive de la carte scolaire a été amorcée dès juin dernier » et précise plus loin : « Feront suite à cette première étape le doublement du nombre de dérogations pour la rentrée scolaire 2008-2009 et, surtout, la suppression totale de la carte scolaire à l’horizon 2010 ».
Cinq ans plus tard, pour préparer la rentrée 2012, le Ministère parle encore de l’assouplissement de la carte scolaire censée avoir disparu à l’horizon 2010.
Il n’est pas inutile de comparer les argumentations employées en 2007 et en 2012 à propos de cet assouplissement visant la disparition.
En 2007, le gouvernement indique : « sa disparition se déroulera dans la concertation et aura pour objectif de favoriser la qualité de l’enseignement et la mixité sociale ».
En 2012, le ministère de l’éducation nationale ne convoque plus la qualité de l’enseignement ou la mixité sociale stricto sensu dans son argumentaire mais l’égalité des chances. Et, pour ce faire il s’appuie sur la priorité donnée aux élèves boursiers.
Il pouvait certes paraître quelque peu paradoxal de viser la disparition de la carte scolaire au nom des principes mêmes qui lui avaient été assignés dans les années 90 : favoriser la mixité et la diversité des publics scolaires dans tous les établissements. Toutefois le constat de son contournement massif par les parents bien informés avait conduit le futur président comme la candidate qui s’opposait à lui en 2007 à envisager sa remise en question au nom de l’égalité des chances.
L’engagement de la suppression à l’horizon 2010 n’a pas pu être tenu, pour la bonne et simple raison que la liberté de choix égale entre toutes les familles ne peut s’exercer qu’à l’une de ces deux conditions :
- soit que les établissements demandés par dérogation aient des capacités d’accueil importantes permettant de satisfaire la demande ;
- soit qu’il y ait, grosso modo, une masse équivalente de parents d’élèves relevant d’un établissement « chic » souhaitant que leur enfant par dérogation soit accueilli dans un établissement « choc » que de parents d’élèves relevant d’un établissement « choc » désirant pour leur enfant un accueil en établissement « chic ».
On voit bien que ni l’une ni l’autre de ces deux conditions ne sauraient être remplies dans la réalité scolaire et sociale qui est la nôtre.
Dès 2008, un rapport d’évaluation des effets de l’assouplissement de la carte scolaire remis au Ministre par l’inspection générale – rapport jamais publié mais qui a « fuité » dans la presse- soulignait les risques accrus de mise en concurrence entre établissements et d’accroissement de la ségrégation sociale entre eux. En 2009, la cour des comptes s’inquiétait de la tendance à la ghettoïsation de certains établissements. On pourrait, en s’appuyant sur les travaux d’Eric Maurin[4], évoquer la renforcement de l’ «enfermement social des enfants » dans des ghettos d’entre soi par le haut, résultant d’une démarche volontaire d’évitement de la mixité sociale, et des ghettos de relégation par le bas.
On ajoutera que les contraintes budgétaires dans lesquelles s’est résolument inscrite la politique éducative au cours du quinquennat écoulé ont pesé également sur la mise en œuvre d’une politique d’égalité des chances.
A l’orée d’un quinquennat nouveau, placé par le président de la République sous le signe de deux engagements majeurs, la justice et la jeunesse, ne serait-il pas judicieux de revisiter la question de la carte scolaire, instrument imparfait dont l’assouplissement, sinon la suppression, n’a pas corrigé mais plutôt aggravé les imperfections ?
En témoignen les résultats d’études françaises et internationales. L’enquête internationale 2009 PISA[5] souligne notamment deux caractéristiques de l’école française notables chez ses élèves de quinze ans.
- La bipolarisation accentuée des résultats : le nombre d’excellents élèves augmente, mais le nombre d’élèves en difficulté augmente plus encore. L’école française distille toujours une élite en laissant au bord du chemin un plus grand nombre d’élèves.
- Des écarts de performance liés au statut social économique et culturel des parents : l’école française ne réduit pas la fracture socio-économique entre ses élèves, contrairement à ce que réussit l’école dans d’autres pays.
L’enquête nationale CEDRE[6] 2009 confirme ces données pour la même période (2003-2009) :
- une baisse du pourcentage d’élèves ayant une très bonne maîtrise des compétences générales attendues (de 10 % à 7,1 %)
- une augmentation du pourcentage d’élèves dont les compétences en lecture et compréhension se limitent au prélèvement d’informations (de 15 % à 17,9 %). Le doublement dans cette catégorie du taux d’élèves de zone d’éducation prioritaire est particulièrement significatif : l’égalité des chances n’est pas réalisée à l’école.
Pourtant, « l'éducation est la première priorité nationale. Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l'égalité des chances[7]." A l’aube d’un nouveau quinquennat, pour tenir vraiment cette promesse de l’école républicaine, il faut remettre sur le métier la question de la carte scolaire et de la politique de la ville pour faire avancer « la cause de l’égalité ».
[1] HOLLANDE, François, discours de Tulle, 6 mai 2012
http://www.slate.fr/france/54569/discours-hollande-je-mesure-honneur-fait
[2] http://www.education.gouv.fr/cid5509/assouplissement-de-la-carte-scolaire.html
[3] http://www.gouvernement.fr/gouvernement/l-assouplissement-de-la-carte-scolaire
[4] MAURIN, Eric, Le ghetto français, enquête sur le séparatisme social, Seuil, 2004
[5] PISA (programme for international student assessment) est une enquête menée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les 34 pays membres de l’OCDE et dans de nombreux pays partenaires. La prochaine collecte est prévue pour 2012.
http://www.oecd.org/document/24/0,3746,en_32252351_32235731_38378840_1_1_1_1,00.html
[6] CEDRE (cycle d’évaluations disciplinaires réalisés sur échantillons)
http://media.education.gouv.fr/file/2010/99/4/NIMENJVA1022_161994.pdf
[7] Code de l'éducation, art. L111- 1