Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789)[1]
Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.
Qu’entendent « les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale » par « sûreté » en 1789 ? En s’appuyant notamment sur les travaux de Frédéric Gros[2], on peut d’abord affirmer que les auteurs de la Déclaration avaient le choix entre sûreté et sécurité. « La sécurité chez Rousseau est le propre des âmes pures, comme celle de Julie dans sa Nouvelle Héloïse. Seuls ceux qui ont la conscience tranquille et le cœur vertueux peuvent jouir de la sécurité (…) C’est l’idée que rien ne peut altérer le sommeil du juste, qu’à partir du moment où on a sa conscience pour soi, plus rien ne doit faire peur[3]».
Et c’est sans doute la raison pour laquelle l'Assemblée nationale a choisi en 1789 de proclamer le droit à la sûreté et non à la sécurité. En effet, « dès le 12e siècle, le mot désigne l’état, la situation d’une personne qui n’est pas en danger[4]». Les proverbes archaïques comme « deux sûretés valent mieux qu’une » témoignent du sens du mot comme mesure prise pour éviter un danger. « Le mot s’est employé dans lieu de sûreté « où l’on est à l’abri » (1606), d’où « mettre quelqu’un en lieu de sûreté, « dans un endroit où il ne peut s’échapper », spécialement « en prison » (1642)[5] ». Sous la cinquième République encore, « Cour de sûreté de l’Etat a désigné (1963) un tribunal d’exception aboli en 1981 qui jugeait les crimes et délits commis contre l’autorité de l’Etat[6]».
On le voit nettement, dans la langue française du 18e siècle, alors que sécurité définit plutôt un état subjectif de sérénité, sûreté a un sens plus objectif de protection contre un danger. D’où le droit à la sûreté dans la déclaration de 1789, qui désigne « la situation d’un groupe social à l’abri du danger (1561)», et, dans l’expression « sûreté de la personne (1748)» la « garantie contre les détentions arbitraires[7]».
Frédéric Gros, dans son essai, analyse l’évolution du sens du mot sécurité à travers les dictionnaires, évolution qui éclaire l’évolution culturelle de notre société.
Dans l’édition de 1762 du Dictionnaire de l'Académie française, on trouve les citation suivantes, très éclairantes, comme « Au milieu de tant de périls, vous ne craignez rien, votre sécurité m’étonne ». Il s’agit bien là d’une qualité subjective toute intérieure.
Dans son édition de 1935, apparaît le sens d’«une situation qui entraîne l’absence de danger pour les personnes ou de menaces pour les biens et qui détermine la confiance». « La sécurité ne désigne plus un état d’âme, mais une situation objective » observe Frédéric Gros.
Dans Le Trésor de la langue française[8], on voit apparaître un sens nouveau, dans le droit international comme dans le droit social[9] : « Sécurité internationale/collective. Système politique international dans lequel plusieurs états se garantissent mutuellement protection contre toute atteinte extérieure menaçant leur intégrité territoriale ou leur organisation constitutionnelle, et s'engagent à ne recourir qu'à des solutions pacifiques pour régler d'éventuels différends entre eux(…) ; Sécurité sociale. Ensemble des mesures législatives et administratives qui ont pour objet de garantir les travailleurs et leurs familles contre certains risques, de couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu'ils supportent ». « L’Etat apparaît cette fois comme garant de la sécurité (…) ; La sécurité, c’est l’Etat », souligne Frédéric Gros.
Dernière étape de l’évolution du sens, « de sécurité » désigne ce « qui permet le fonctionnement normal d'une activité, le déroulement normal d'un processus; qui assure la protection de personnes ou de choses[10]», « la sécurité comme contrôle des flux » commente Frédéric Gros (sécurité d’approvisionnement, sécurité informatique, sécurité routière…).
Philosophiquement, on passe donc de la sécurité du sage antique (sérénité, équanimité), à l’absence de danger millénariste au Moyen Age, puis à la conception politique de l’Etat moderne garant (Hobbes, Locke, Rousseau), enfin à la biosécurité, « ensemble des dispositifs de protection, contrôle et régulation de l’individu considéré sous l’aspect de sa finitude biologique » selon Frédéric Gros.
Celui-ci insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une évolution linéaire du sens du mot, mais plutôt d’une dynamique historique de reconfiguration, de réactivation, de tension interne, de contradiction externe. « Une grande partie de l’histoire récente s’est jouée dans la rivalité, le déchirement, la lutte entre le juge, le policier et le soldat, chacun prétendant détenir le sens le plus accompli de la sécurité » écrit-il dans la conclusion de son essai. La biosécurité n’échappe pas aux tensions entre ces dimensions sémantiques : « c’est pour vous protéger qu’on vous contrôle, c’est pour vous contrôler qu’on vous protège ». Ni au lien avec le millénarisme au travers par exemple de l’Internet des objets, ni à la tension avec l'idéal antique de la stabilité intérieure ; ni à la tension entre la sécurité comme responsabilité régalienne de l’Etat et marchandisation de la sécurité développant une culture de la peur et une rupture de l’égalité entre les citoyens. Ce qui est commun aux différents sens de sécurité, c’est d’être toujours, d’après Frédéric Gros, « une retenue de la catastrophe ». La dernière phrase de son essai est sans appel : « la sécurité (la catastrophe), c’est quand tout continue comme avant ».
[1] http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Declaration-des-Droits-de-l-Homme-et-du-Citoyen-de-1789
[2] Gros, Frédéric, Le Principe Sécurité, nrf essais, Gallimard, 2012
[3] ibid, page 10
[4] Rey, Alain (dir), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1998, p 3704
[5] Ibid
[6] Ibid
[7] Ibid
[8] http://atilf.atilf.fr/tlf.htm
[9] http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2022131385;
[10] Ibid