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Billet de blog 8 mars 2024

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Enseignement moral et civique : des ambitions affichées au réel…

Vouloir articuler enseignement et éducation au sein d’un parcours citoyen, voilà une belle ambition affichée dans le préambule du projet de programme d’EMC en cours de consultation. Mais en se coulant dans un moule incompatible avec cette ambition, ce projet ne tient pas parole.

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Le projet de programme d’enseignement moral et civique (EMC) élaboré par le conseil supérieur des programmes (CSP) est actuellement en cours de consultation[1].

On retiendra d’abord quelques points positifs avant d’examiner les enjeux de ce programme.

En premier lieu, on ne peut que se féliciter de voir publié un programme « du cours préparatoire jusqu’à la classe terminale » qui couvre donc le parcours scolaire de l’élève de son entrée à l’école élémentaire jusqu’à l’issue de sa formation en classe terminale de CAP, ou de baccalauréat professionnel, technologique ou général. Il faut se réjouir que l’on sorte ainsi d’une vision segmentée, pour adopter une approche longitudinale qui donne davantage de sens à la démarche en s’intéressant à ce que l’élève apprend au fil des ans.

En second lieu, on peut se féliciter également de ce que ce programme d’EMC ne soit pas conçu en silo, indépendamment du reste des apprentissages prescrits au cours de la scolarité. Dès le préambule, en effet, l’EMC est articulé au parcours citoyen de l’élève, parcours qui va de l’école aux lycées, en lien avec l’éducation au développement durable (EDD) et l’éducation aux médias et à l’information (EMI).

En troisième lieu, on ne peut que souscrire à l’affirmation, dès le préambule, selon laquelle « l’enseignement moral et civique expose les principes éthiques, juridiques et politiques fondamentaux du parcours citoyen de l’élève. Ce parcours engage l’ensemble des enseignements dispensés à l’école, mais aussi la vie de l’établissement, dont les actions peuvent être menées en partenariat avec les collectivités locales, d’autres ministères (du Travail, de la Santé et des Solidarités, des Armées), des organismes publics ou des associations. Il se nourrit également des « éducations » présentes dans les programmes auxquelles il contribue : éducation aux médias et à l’information, au développement durable, à la défense, au droit, aux compétences économique, budgétaire et financière, à la sexualité et, enfin, aux arts et à la culture (…) Le parcours citoyen, pour être pleinement réalisé, suppose l’explicitation des enjeux de citoyenneté présents dans tous les enseignements. Il vise à l’investissement des élèves dans les structures de la vie scolaire et, plus généralement, de la vie économique et sociale, de la politique et en somme de la démocratie : commémorations, réalisation de projets dans le cadre de l’établissement, engagement au sein d’institutions et d’associations en lien, notamment, avec le service national universel (SNU) ».

Le référentiel de compétences de l’EMC, adossé à des valeurs et principes républicains, vise non seulement l’acquisition de connaissances et d’une compréhension critique mais encore des attitudes et des aptitudes nécessaires au plein exercice de la citoyenneté.

Il faut, pour mieux apprécier le contenu de ce projet de programme d’EMC au delà de l’affichage, questionner le document. Nous avons choisi d’y explorer ce qui , parmi des éléments clés de l’EMI, y figure : nous avons recherché ce qui y est dit de la Semaine de la presse et des médias à l’École®, du Centre de liaison pour l’EMI (CLEMI) qui organise depuis trente cinq ans cette opération pédagogique et éducative partenariale de grande ampleur, et des médias scolaires qui sont, en matière de formation aux connaissances et compétences, attitudes et aptitudes décrites dans le référentiel de l’EMC, un moyen formidable de les associer et de les cultiver chez les élèves.

C’est là que le bât blesse. La Semaine de la presse et des médias dans l'École® ? Elle n’est évoquée qu’en CAP et en seconde, comme si les écoliers et les collégiens ne pouvaient pas être concernés et engagés dans ce moment fort d’éducation citoyenne aux médias. Le CLEMI ? On en cherchera vainement la trace dans le projet de programme d’EMC. C’est pourtant, en matière d’éducation aux médias et à l’information, un acteur essentiel de la formation et de l’accompagnement des enseignants et des personnels de l"éducation nationale, et le garant d’un partenariat fort riche avec tous les médias, nationaux, régionaux et locaux. Les médias scolaires ? A la lecture de ce projet de programme, on ne trouve aucune mention des médias scolaires alors que les (web) -journaux, -radios, -télévisions, les podcasts, toutes les réalisations numériques ou non, produites par des élèves accompagnés par leurs professeurs et personnels d’éducation, constituent une entrée majeure du site national du CLEMI[2].

Tout se passe donc comme si, dans la conception pratique des programmes, contrairement aux intentions affichées dans le préambule, on laissait de côté des éléments majeurs de la réalité de la formation civique à l’école. Il y a sans doute à cela une explication. Conçu comme un enseignement et non une éducation, l’EMC, dans le projet de programme actuellement discuté, fait la part belle à des activités susceptibles d’être conduites par un professeur avec une classe, dans un horaire hebdomadaire prescrit, en parfaite conformité avec le modèle dominant, hérité du passé, de la boîte d’œufs, conçue pour que les oeufs ne se touchent pas. Qui dit Semaine de la presse et des médias à l’Ecole® ou médias scolaires, envisage des activités qui supposent interactions multiples, travaux différents au même moment en divers lieux, accompagnement par d’autres professionnels aussi que ceux de l’éducation, sortie de la classe, voire de l’école… Il ne fait pas de doute qu’on acquiert dans ce cadre le sens de l’initiative, dans le respect des autres et des règles communes, l’engagement et le sens des responsabilités, la culture du projet collectif et de la coopération, toutes choses figurant dans le référentiel de l’EMC.

Finalement, il y a fort à parier que ce nouveau programme, malgré ses intentions affichées, s’inscrive dans un cadre qui a rendu jusqu’ici quasi impossible ce qu’il appelle de ses vœux : la mise en œuvre créative, ouverte, partenariale d’un parcours citoyen, héritier du parcours civique (2004), crée dans la dynamique de refondation de l’Ecole (2013-2015), dont on peine à dire, dix plus tard, combien d’élèves il concerne effectivement du cours préparatoire à la terminale, en dehors d’épisodes isolés au fil de leur scolarité. Il met une nouvelle fois en lumière l’incohérence entre les objectifs de formation affichés et la réalité amputée de la formation effectivement réalisée. Pour que l’école réalise enfin ses légitimes ambitions éducatives, il faut transformer radicalement la politique des savoirs, comme le propose le Collectif d’interpellation du curriculum (CICUR)[3].

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[1] https://eduscol.education.fr/3206/consultation-nationale-sur-le-programme-d-emc-du-cp-la-terminale

[2] https://www.clemi.fr/medias-scolaires

[3] https://curriculum.hypotheses.org/

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