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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 8 avril 2024

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Violences en milieu scolaire : quelle place de l’éducation dans notre école ?

Les violences dramatiques dont sont victimes des élèves appellent, au delà de l’émotion, non à réagir avec des « solutions » qui n’en sont pas, mais à questionner en profondeur la place accordée à l’éducation par la vie dans notre école.

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Montpellier, Viry-Châtillon : les actes inqualifiables commis par d’autres jeunes à l’encontre d’une collégienne, finalement sauvée, et d’un collégien, qui n’a pas survécu aux violences à son encontre, suscitent, par delà la légitime émotion, autant de commentaires que de questions.

Dans le débat politico-médiatique dominent la mise en cause des écrans et des réseaux sociaux, et celle des communautarismes qui minent le vivre ensemble. Plus rares sont les questions posées sur la part accordée effectivement à l’éducation dans notre école. Il y a sans doute là, pourtant, de quoi réfléchir.

De quoi se préoccupe-t-on quand on pense « éducation » dans l’école française ? On pense immédiatement à des cours, des enseignements, comme l’enseignement moral et civique ou les fameux « cours d’empathie » annoncés par un ex-ministre devenu premier ministre. On pense à des mesures qui apparaissent régulièrement dans les programmes présidentiels, notamment du côte de la droite et de l’extrême droite : port de l’uniforme, redoublement, renforcement des mesures disciplinaires d’exclusion, apprentissage de La Marseillaise, équipe mobile de sécurité nationale…

A aucun moment, on ne se questionne sur ce que Paul Langevin considérait comme fondamental : « L’école fait faire à l’enfant l’apprentissage de la vie sociale et, singulièrement, de la vie démocratique (…) non par les cours et les discours, mais par la vie et l’expérience[1] ». Alors posons-nous la question  : à quels moments au collège fait-on par la vie et l’expérience l’apprentissage de la vie sociale, et dans quelles conditions ?

La vie sociale qu’on apprend en classe, c’est plutôt celle de la compétition, pour la meilleure note, la meilleure orientation, que celle de la coopération. La vie sociale qu’on apprend aussi au fil des années, c’est celle du tri, qui devrait se renforcer encore dès la sixième à la rentrée prochaine avec l’institution de groupes de niveaux en français et en mathématiques.

Celle qu’on apprend dans le cadre de la vie scolaire, aux récréations, aux mouvements entre les cours, au restaurant scolaire et à l’internat quand ils existent, est-elle différente ? Elle peut l’être, quand l’établissement a le souci de donner des responsabilités aux élèves, de valoriser leur parole et leurs actes, d’accompagner leurs projets collectifs. Mais elle peut ne pas l’être quand on désigne les membres d’un conseil de vie collégienne qu’on tient soigneusement en marge de toutes les prises de décisions importantes pour la vie des collégiens.

La grande question est la suivante : quand prend-on vraiment le temps au quotidien, au collège, de faire l’expérience de la vie sociale, où chacun reconnaît l’autre comme son ou sa semblable, ou chacun perçoit ce qu’il apporte au collectif et ce qu’il en reçoit ?

Quand les apprentissages eux-mêmes mêlent-ils garçons et filles dans un projet commun de réalisation, de production, non pas pour un exercice strictement scolaire sanctionné par une note, mais pour un travail destiné non au seul professeur, mais à la communauté du collège ou, plus largement, du territoire ?

Quand les élus d’un conseil de vie collégienne sont accompagnés pour conduire eux-mêmes la lutte contre le harcèlement, ou pour l'égalité entre filles et garçons, quand ils peuvent ainsi choisir un support vidéo de sensibilisation, établir un questionnaire à destination de leurs camarades sur ce document, animer ensuite des heures de vie de classe dans chacune des classes de l’établissement pour faire vivre le débat sur le sujet, puis organiser un concours d’affiches, choisir les meilleures qui seront affichées sur les grilles de l’établissement, on est là dans un établissement où l’on prend le temps de faire faire à toutes et tous l’expérience de la vie sociale et de la vie démocratique.

Cela prend du temps, dira-t-on. Mais ce temps-là n’est-il pas un temps essentiel, même s’il n’apparaît pas dans les emplois du temps qui ne connaissent que les heures d’enseignement des matières scolaires ?

Il faut sans doute remettre en question la hiérarchie tacitement établie entre ce qui compte (les enseignements) et ce qui serait accessoire dans la formation de notre jeunesse (tout le reste). Il faut repenser aussi la manière dont les enseignements/apprentissages sont effectués et évalués : sans doute certaines modalités de travail scolaire sont-elles plus formatrices que d’autres à l’apprentissage de l’agir solidaire en société.

Pourquoi non plus ne pas penser une formation initiale et continue des personnels d’enseignement qui donne à la dimension éducative de leur métier plus de place qu’elle ne lui en accorde actuellement ?

A ne pas envisager ces questions, à maintenir le statu quo ante, on court le risque une fois de plus de passer à côté de l’essentiel et de déplorer encore des événements dramatiques dont sont victimes et auteurs des élèves ou de très jeunes adultes qui l’étaient il y a peu de temps.

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[1] Propos cités au chapitre 6 - Education morale et civique, formation de l’homme et du citoyen- du rapport de la commission ministérielle d’étude sur la réforme de l’enseignement (1946) dit « Plan Langevin-Wallon »

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