Le quinquennat Sarkozy aura été marqué dans le domaine de l’éducation par la promotion de l’excellence. Internats d’excellence, pôles d’excellence, filières d’excellence, de l’école à l’Université, la recherche de l’excellence a été à l’ordre du jour. Si elle a été marquée ces cinq dernières années, cette recherche de l’excellence n’est pas nouvelle. En témoigne par exemple la page du site du ministère de l’éducation nationale dédiée au concours général[1], qualifié de « prix d’excellence », où il est rappelé que ce concours est né en 1744 à l’Université de Paris, au siècle des Lumières fondateur de notre école républicaine.
Qui trouverait a priori à y redire ? Chacun se souvient de l’objectif fixé par Paul Langevin, concepteur du projet de réforme de l’enseignement de 1946-47 qui s’inscrivait dans les valeurs émancipatrices du conseil national de la Résistance : l’école "assure la formation de tous et la sélection des meilleurs".
Cette phrase a été transformée en formule « la sélection des meilleurs par la promotion de tous » considérée comme l’expression même de l’élitisme républicain. Ce dernier a été, comme la laïcité, récemment enrôlé sous la bannière du Front national. « L’école doit donc assurer la sélection des meilleurs par la promotion de tous. L’élitisme républicain, qui repose sur une exigence collective et sur l’effort individuel, est le meilleur levier pour assurer l’égalité des chances. Le laxisme scolaire enferme les plus défavorisés sur le plan culturel et social et permet la reproduction héréditaire des élites. C’est l’objectif inverse qu’il faut viser » peut –on encore lire sur le site Elysée 2012 de Marine Le Pen[2] .
L’excellence mérite donc qu’on aille y voir de plus près. On prendra deux exemples situés aux deux bouts du spectre scolaire : d’un côté celui des internats d’excellence, censés donner accès à la réussite scolaire à de « bons élèves issus des milieux les plus modestes », celui des sections internationales et des classes à horaires aménagés de l’autre qui, recrutant de fort bons élèves, contribuent à donner aux établissements où elles sont implantées la couleur de l’excellence.
La récente publication par le nouveau ministre de l’éducation nationale de rapports des inspections générales remis entre 2007 et 2011 aux ministres du quinquennat précédent et jusqu’alors non publiés a permis de lire par exemple celui consacré en juin 2011 à la mise en place des premiers internats d’excellence[3].
Ce rapport rappelle les lignes de force de ce dispositif emblématique, annoncé dans la lettre présidentielle aux éducateurs du 4 septembre 2007[4]. L’internat d’excellence, « dispositif nouveau et original », a « un objectif d’égalité des chances », concerne « un public ciblé » et repose sur « un corrélat essentiel : l’accompagnement ». Mais il met en lumière également « les réalités du terrain ». Parmi celles-ci, les inspections générales observent que « tous les internes ne relèvent pas de la politique de la ville », que « la part des élèves boursiers est importante sans être écrasante[5] », soulignent « des budgets de fonctionnement confortables » avec « des dotations en ressources humaines exceptionnelles » avec « des ratios d’encadrement très élevés ».
On en retiendra la conclusion : « La seconde question tient aux limites intrinsèques de l’internat d’excellence lui-même qui – ne serait-ce qu’en raison des investissements matériels, financiers et humains qu’il exige – ne saurait constituer qu’une réponse partielle à un besoin plus global.
On touche ici à sa dimension proprement politique, puisqu’il s’inscrit dans un objectif démocratique de lutte contre les inégalités et de renforcement de la cohésion sociale. S'ils concernent un public restreint, les internats d'excellence peuvent néanmoins servir de laboratoire et de levier pour les autres internats, en vue d'y conduire de véritables projets d'accompagnement pédagogique et éducatif.
Ce que démontrent les expériences en place, c’est qu’en engageant des moyens importants et dérogatoires, utilisés par des personnels sélectionnés, motivés et compétents, une meilleure prise en charge d’un petit nombre d’élèves, issus de milieux modestes, est possible. On peut avoir l’espoir raisonnable que cette prise en charge aboutisse à des parcours scolaires réussis, mais cette démonstration, en tout état de cause, ne résout pas l’ensemble de la question. Cette forme de méritocratie expérimentale est à replacer dans un continuum d’actions, seul à même de répondre pleinement au défi de l’équité devant l’accès au savoir.»
Autrement dit, les internats d’excellence ne sauraient tenir lieu d’alpha et oméga d’une politique d’égalité d’accès de tous les élèves à la formation. « Une meilleure prise en charge d’un petit nombre d’élèves, issus de milieux modestes » ne saurait exonérer l’école de ce qu’elle doit à tous ceux qui, à l’écart des internats d’excellence, sont pour l’heure sous la menace de l’échec scolaire. La « méritocratie expérimentale » ne relèvera pas le « défi de l’équité devant l’accès au savoir. »
Le second exemple se situe à l’autre extrémité du spectre du public scolaire, celui des sections internationales ou des classes à horaires aménagés. Les premières, dès écoles aux lycées où elles sont implantées, se caractérisent, selon le site officiel Eduscol par le fait que « les élèves des sections internationales suivent certains enseignements en langue étrangère, appelés "enseignements spécifiques", pour lesquels ils sont regroupés en dehors de leurs classes habituelles [6]».
La réalité, dans les collèges notamment, est souvent différente. Les élèves des sections internationales sont constituées en classe internationale qui « monte » de la 6e à la 3e de manière cylindrique, sans se mélanger aux élèves des autres classes[7]. Ce système de classes distinctes a la faveur de bien des membres de la communauté éducative, ce qui incite des personnels de direction à s’y conformer, la séparation ayant les faveurs des parents des élèves concernés et de certains enseignants qui enseignent dans ces classes. Elles constituent de facto une filière d’excellence scolaire, dont le recrutement est fait sur la base des résultats scolaires antérieurs. Le désir d’entre soi est tel que se constituent des associations, spécifiques aussi, de parents d’élèves des sections internationales, très vigilantes sur la préservation de cette structure séparée, distincte des classes « standard ».
Un collège de quartier populaire peut ainsi afficher statistiquement des résultats témoignant d’une mixité sociale de façade plus équilibrée, les CSP des parents d’élèves de section internationale ou de classes à horaires aménagés venus hors du secteur de recrutement assurant cette présence des CSP favorisées, sans pour autant que les élèves de ces classes interagissent avec les autres, puisque, même au restaurant scolaire, ils ne s’assoient pas spontanément aux mêmes tables que les autres.
On a donc, d’après les chiffres, toutes les apparences d’un collège républicain, fréquenté par des enfants appartenant à divers milieux sociaux et culturels. Dans les faits, à l’intérieur du collège, sévit, comme dans la cité, le séparatisme social[8] si caractéristique de la société française. Le collège pour tous et pour chacun est travaillé par un communautarisme invisible.
A l’heure de la refondation de l’éducation nationale, la question du séparatisme social et du communautarisme invisible à l’œuvre au sein de l’école ne saurait être esquivée.
[1] http://www.education.gouv.fr/cid23025/le-concours-general-un-prix-d-excellence.html
[2] http://www.marinelepen2012.fr/le-projet/avenir-de-la-nation/ecole/
[3] http://media.education.gouv.fr/file/2011/56/5/2011-057-IGEN-IGAENR_215565.pdf
[4] Sarkozy, Nicolas, Lettre aux éducateurs, 4/9/2007« Pour les bons élèves issus des familles les plus modestes qui ne peuvent pas offrir à leurs enfants un cadre propice à l’étude, des internats d’excellence seront créés ». http://media.education.gouv.fr/file/41/3/6413.pdf
[5] A l’internat d’excellence de Montpellier, par exemple, 25% d’élèves non boursiers. Les inspecteurs s’étonnent de trouver dans l’effectif des internats d’excellence des enfants « de professeur des écoles, de notaire, de vétérinaire… et même de proviseur ». Une « colonisation » d’un dispositif à visée sociale par d’autres catégories sociales que celle qui est ciblée serait-il à l’œuvre, motivé par de la qualité exceptionnelle de l’encadrement et la mesure tout aussi exceptionnelle des moyens investis ?
[6] http://eduscol.education.fr/pid23147/sections-internationales.html
[7] On peut constater la même situation avec les classes à horaires aménagés pour permettre aux élèves de recevoir, dans le cadre des horaires et programmes scolaires, un enseignement artistique renforcé, en partenariat avec des institutions culturelles. Du fait des horaires aménagés, la constitution de classes spécifiques est, dans ce cas, quasi inévitable.
http://eduscol.education.fr/cid46780/classes-horaires-amenages.html
[8] voir l’enquête menée par Eric Maurin, publiée sous le titre Le ghetto français, La République des idées, Le Seuil, octobre 2004.