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Billet de blog 9 juin 2025

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Transition écologique : pour E. Borne, une révolution qui ne dérange… rien

Si, pour la ministre, la transition écologique est « une révolution à mener », rien, dans ses propositions ne dérange l’ordre scolaire établi. Pourtant, la révolution ne saurait attendre indéfiniment.

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Au moment où débute à Nice le sommet de l’ONU pour les océans (UNOC), il convient se saluer les propos très forts tenus par la ministre de l’éducation nationale dans la perspective du sommet de l’engagement, qui se tiendra le 1er juillet prochain sous le haut patronage du président de la République. Pour E. Borne, « la transition écologique n’est pas un problème à résoudre, mais une révolution à mener, un défi collectif, un défi de civilisation » (…) « La transition écologique doit être une chance de renouveler notre façon de vivre, d’apprendre, de créer, de travailler ensemble[1] ».

Les mots sont puissants, et on s’attend donc à trouver, dans la suite du propos de la ministre, des engagements remarquables en vue notamment de renouveler notre façon d’apprendre.

Que propose donc la ministre ? « Dès la rentrée 2025 la place des enjeux climatiques et de biodiversité sera renforcée dans les programmes scolaires ». « Dès la rentrée 2025-2026, tous les étudiants de premier cycle bénéficieront d’un enseignement de 30 heures sur la transition écologique ».

On lit bien : il s’agit de renforcer dans les programmes scolaires  la place des enjeux climatiques et de biodiversité. Cela signifie qu’en aucun cas on ne songe à repenser notre façon d’enseigner et d’apprendre, les savoirs appris à l’école restent inchangés dans leur organisation hiérarchisée et cloisonnée, il s’agit juste d’ajouter une pincée supplémentaire d’enjeux climatiques et de diversité dans les programmes existants. Ne touchons surtout pas au tabou des programmes scolaires définis discipline par discipline, dont on a pu mesurer, jusqu’à présent, combien ils sont défavorables à une véritable démarche de formation éducative à tous les grands enjeux qui ne sont pas réductibles à une discipline particulière mais nécessitent l’articulation de savoirs disciplinaires divers avec d’autres savoirs non scolaires. Cet ordre des programmes scolaires auquel on refuse de toucher, qu’on ne veut pas déranger, c’est la garantie que l’on va continuer comme avant. Les professeurs enseignent leur discipline scolaire et c’est aux élèves d’établir les liens, de mobiliser des savoirs acquis séparément pour trouver des réponses à des questions qui les dépassent.

On pourrait penser qu’il faut, en vue de la révolution annoncée par la ministre, repenser radicalement la formation de futures et futurs enseignant(e)s, désormais recrutés en troisième année de licence. La ministre s’engage sur un enseignement de 30 heures sur la transition écologique pour tous les étudiants de premier cycle. Donc, on ne repense pas leur formation, on y introduit, comme on le pourra, trente heures d’enseignement sur la transition écologique. Là encore, on ne change rien sur le fond. On n’imagine pas introduire la pratique de la coopération entre étudiants de différentes formations dans une action collective conduisant à favoriser la durabilité, il suffira de leur enseigner quelques savoirs théoriques sur la transition écologique.

A écouter et lire la ministre, on est conduit à observer que les menottes imposées à la révolution annoncée l'empêchent même de débuter.

L’école reste pensée au filtre des programmes scolaires et non du point de vue de l’expérience réelle des élèves comme le supposerait une vision curriculaire incluant l’ensemble de la vie scolaire, des activités conduites dans et hors l’école par les élèves, et touchant également la formation de leurs enseignants et l’évaluation de leurs acquis.

L’école reste pensée au travers des prescriptions et non au travers des réalisations effectives : on ne se préoccupe ni de l’écart mesurable et variable entre ce que prescrivent les programmes et ce qui est effectivement acquis par les élèves, ni de prendre en compte autre chose que des savoirs envisagés au travers d’une grille établie, celle des disciplines scolaires établies.

L’école est pensée comme lieu d’enseignement de savoirs, et non d’apprentissage de savoirs d’action : il ne suffit pas de savoir, il faut savoir, vouloir et pouvoir agir, s’engager individuellement et collectivement, pour lutter contre tout ce qui, dans les activités humaines, met en péril le vivant. Nous avons besoin de cultiver désormais un savoir-relation, qui relie les avoirs au lieu de les séparer, qui place au cœur de l’action éducative la relation de chacune et chacun à soi, aux savoirs, aux autres et au vivant[1].

La ministre a parlé de « révolution ». Ce qu’elle propose ne renouvelle en rien notre façon d’apprendre. La révolution à mener reste à penser urgemment.

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[1] https://forum-engagement.org/

[1] https://bonheurs.cyu.fr/fil-dactualite/le-savoir-relation

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