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Billet de blog 11 juillet 2023

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Disciplines scolaires et éducation(s) : sortir de la quadrature du cercle ?

« Faire de l’éducation aux médias et à l’information une discipline à part entière », voici une proposition parlementaire qui semble frappée au coin du bon sens. Mais elle risque d’être mort-née, si on ne l’inscrit pas dans une réflexion globale sur les missions de l’école et sur une nouvelle politique des savoirs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En février dernier, un rapport de la mission flash de l’Assemblée nationale sur l’éducation critique aux médias[1] a été présenté, puis repris et enfin diffusé sous le titre Armer chacun dans la guerre de l’information. Etat d’urgence[2]. Parmi les dix propositions des rapporteurs de la commission (Mme Spillebout députée Renaissance et M. Ballard député Rassemblement national) figure en troisième position celle de « faire de l’EMI une discipline à part entière, avec des horaires dédiés tout au long de la scolarité, du cycle 3 de l’école élémentaire au lycée ».

Voici une nouvelle fois posée, par l’éducation aux médias et à l’information (EMI), la question de la relation des disciplines scolaires ou matières d’enseignement avec les nombreuses « éducations à… » qui figurent parmi les objectifs éducatifs de l’institution scolaire.

On imagine que des missions flash sur l’éducation au développement durable, sur l’éducation à la santé ou sur d’autres encore pourraient, comme celle sur l’EMI, constater «un trop grand éclatement des dispositifs, conduisant à de réelles disparités territoriales ». Et par conséquent dégainer la proposition miracle de faire de chacune d'elles « une discipline à part entière avec des horaires dédiés tout au long de la scolarité ».

Jusqu’ici, le parti pris officiel a consisté à considérer que les différentes « éducations à » pouvaient tête abordées à la fois dans diverses disciplines et dans le cadre de projets ou parcours fédérant plusieurs disciplines. Le programme officiel de l’EMI au cycle 4[3] débute ainsi :

« L’éducation aux médias et à l’information, présente dans tous les champs du savoir transmis aux élèves, est prise en charge par tous les enseignements. Tous les professeurs, dont les professeurs documentalistes, veillent collectivement à ce que les enseignements dispensés en cycle 4 assurent à chaque élève :

- une première connaissance critique de l’environnement informationnel et documentaire du XXIe siècle ;

- une maîtrise progressive de sa démarche d’information, de documentation ;

- un accès à un usage sûr, légal et éthique des possibilités de publication et de diffusion ».

Mais c’est justement parce que cette « prise en charge par tous les enseignements » est loin d’être effective partout malgré la circulaire proclamant le 27 janvier 2022 la « généralisation de l’EMI[4] » que la mission flash de l’Assemblée nationale a proposé d’en faire une discipline à part entière.

Cette proposition apparemment de bon sens ne l’est qu’en apparence. En effet comment concilier cette proposition d’horaires dédiés à une (ou plusieurs si on généralise à toutes les "éducations à..." jugées essentielles la proposition concernant l’EMI) nouvelle(s) matière(s) d’enseignement avec la réalité des horaires d’enseignement affectés aux « disciplines à part entière » figurant déjà dans les programmes d’enseignement de l’école au lycée ? On sait en effet que les journées des élèves français en classe sont déjà très longues et lourdes.

Cela signifie donc qu’il faudrait prélever des heures pour une ou des discipline(s) nouvelle(s) sur celles dévolues aux "disciplines à part entière" déjà établies. Ce qui semble incompatible avec la densité des programmes d’enseignement de chacune d’elles. Dans l’actuelle politique des savoirs, c’est donc « mission flash impossible ».

Que signifie donc cette proposition, si elle est ainsi présentée hors contexte ? Sans doute une proposition de plus pour rien. A moins que…

A moins que l’absurdité du système actuel des savoirs, empilant des « éducations à » dans un système d’enseignement déjà asphyxié, ne conduise à considérer que si notre école ne peut accomplir partout et pour tous ce qui lui est demandé, il est nécessaire de poser publiquement la question autrement que ne l’a fait la mission flash.
SI on se demandait ce que sont en 2023 les finalités de l’école, ses missions de formation, on pourrait aborder tout autrement la question. Quelles sont les grandes questions auxquelles est confrontée aujourd’hui l’humanité ? Comment donner aux élèves les instruments intellectuels et les compétences sociales et civiques dont ils ont besoin pour aborder ces questions et construire des réponses ? De quelle manière des enseignements disciplinaires existant ou non peuvent-ils apporter leur contribution à ces apprentissages ? De quelle façon peut-on, à partir des besoins établis, réexaminer la hiérarchie existant entre les disciplines scolaires, et repenser leurs articulations ? Et quelle est la forme scolaire la plus propice à ces apprentissages ? Il n’est pas sûr en effet que la « classe en autobus » constitue en tous les cas la meilleure réponse. Toutes ces questions relèvent non pas exclusivement de cabinets de conseils ni même de cabinets ministériels, mais d’abord d’un débat public approfondi préalable sur le sens que les citoyens veulent donner aujourd’hui à l’Ecole du vingt-et-unième siècle. Une politique des savoirs nouvelle est à construire à partir de ces premières réponses.

C’est là sans doute la seule façon raisonnable de sortir de la quadrature du cercle dans laquelle, faute d’imagination, les intervenants les mieux intentionnés du monde peuvent s’enfermer volontairement. C’est la voie que propose d’explorer le CICUR[5].

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[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/commissions-permanentes/affaires-culturelles/missions-de-la-commission/mi-education-medias

[2] Sylvie Leleu-Merviel, Violette Spillebout. Armer chacun dans la guerre de l’information. Etat d’urgence. Assemblée Nationale, Commission des affaires culturelles et de l’éducation. 2023, 106 p. hal-04072759

[3] https://eduscol.education.fr/document/621/

[4] https://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo4/MENE2202370C.htm

[5] https://curriculum.hypotheses.org/

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