Lors de la passation avec son prédécesseur à l’hôtel Matignon, le nouveau premier ministre Lecornu a affirmé qu’ « il va falloir des ruptures, et pas que sur la forme, pas que dans la méthode, des ruptures aussi sur le fond ». On en suggère ici quelques-unes.
Rompre avec la culture du chef : il n’y a pas si longtemps, le président de la République faisait entrer l’éducation dans son « domaine réservé » (domaine qui n’est absolument pas évoqué dans notre constitution). Mais le culture du chef est bien installée depuis fort longtemps dans la culture et le vocabulaire de l’école d’ancien régime comme dans celle de l’éducation nationale : si les « chefs de classe », n’ont pas survécu à 1968, les « chefs de travaux » n’ont changé de dénomination que récemment, et les chefs d’établissement sont toujours bien dénommés ainsi, complétant la chaîne de commandement hiérarchique des recteurs (étymologiquement, le recteur est celui qui dirige, le chef spirituel) et directeurs académiques … Et si, à l’école, on essayait la démocratie à tous les étages ?
Rompre aussi avec les approches sectorielles de l’éducation, qui ne modifient en rien le système et ses conséquences sur le destin des élèves : au fil des décennies, toutes les tentatives de démocratisation ont échoué parce qu’elles n’ont touché qu’à un aspect sans modifier l’organisation générale du système. Et si l’on prétend transformer le système, le débat de fond ne peut être limité à quelques spécialistes ou experts, mais doit concerner l’ensemble des citoyennes et citoyens. Et ce débat on ne peut plus politique ne peut être que long, approfondi, pour rompre avec les pratiques habituelles. Et il doit d’abord chercher à clarifier les finalités que les citoyens et citoyennes souhaitent que notre école vise. Bien malin qui pourrait le dire aujourd’hui, tant elles sont diverses selon les discours et les moments.
Rompre encore avec les non-dits d’une politique des savoirs qui repose sur des choix et des hiérarchies jamais interrogés. Pourquoi serait-il « naturel » de proposer l’étude des langues et cultures de l’Antiquité dès le collège, et tout aussi « naturel » de ne pas étudier le droit ou la médecine ? Pourquoi priver de l’enseignement philosophique celles et ceux qui sont élèves en lycée professionnel ? Pourquoi priver celles et ceux qui sont en lycée général de l’apprentissage de gestes professionnels ? Ne serait-il pas temps de mettre à plat l’assemblage hétéroclite des enseignements, des parcours éducatifs, des « éducations à… », l’empilement de programmes disciplinaires étanches à côté d’un socle commun qui n’a en vérité de commun que le nom, pour poser les éléments de la culture commune qui doit permettre à toutes et à tous de faire société ensemble ?
Rompre enfin avec un modèle d’enseignement, d’évaluation et d’orientation qui cultive la concurrence individuelle, assigne à des parcours de formation des élèves considérés comme réductibles à une seule identité, après avoir depuis le début cherché à les classer, chacun dans la « bonne » case, ce qui fait que, dès l’entrée au collège, les jeux sont faits, pour le « meilleur » ou pour le « pire », quand on a à peine onze ans…
Il ne s’agit ici que de quelques pistes, sommairement évoquées. Mais les pistes de rupture effective, sur le fond comme sur la forme et dans la méthode, ne manquent pas. Alors, chiche, monsieur le premier ministre ?