Dans le Plan avenir, présenté en juin dernier par la ministre aujourd’hui démissionnaire Elisabeth Borne, sous titré « L’orientation, pour que l’avenir soit un choix[1] », est affiché, « un principe d’émancipation et de responsabilité ».
Emancipation : en cela, le ministère réaffirme un principe fondamental de l’école, qui correspond notamment à l’égalité et l’équité républicaine qui voudrait, comme le rappelle le Plan Avenir, que « l’École doit se donner les moyens d’aider les élèves à construire des parcours moins sujets aux déterminismes et aux assignations quels qu’ils soient : géographiques, sociaux, de genre, etc. » C’est une invitation, pour les lectrices et lecteurs de ce plan à s’interroger : quels moyens le Plan Avenir donne-t-il à l’école pour émanciper les élèves des déterminismes et assignations multiples qui pèsent sur elles et sur eux ?
On reste, à la lecture des six priorités et des 23 mesures qui les déclinent, sur sa faim.
On s’attendrait, par exemple, à ce que l’École, tienne enfin compte de ce que René Haby affirmait lors de la mise en place d’un futur « collège unique », scolarisant ensemble les enfants de toute une génération : « le collège (école moyenne pour tous) ne peut proposer exactement les contenus des anciennes classes de lycée dont l’objectif était le lointain baccalauréat. Il sera nécessaire de le tourner davantage vers la vie, d’ préparer des orientations ultérieures fort diverses, d’adapter la pédagogie à la variété des esprits et des capacités, d’y valoriser d’autres aptitudes que celles qui commandent aujourd’hui la réussite scolaire (…) L’orientation moderne doit être conçue comme le choix volontaire par le jeune de la voie qui lui convient le mieux[2] ».
Cinquante ans après, les enseignements du collège préparent toujours exclusivement au lycée général. Les élèves qui choisissent l’enseignement général et y sont admis font un choix volontaire qui prolonge leur réussite scolaire, mais la grande majorité de celles et ceux qui sont orientés vers le lycée professionnel ne le sont pas sur un choix volontaire qui prolongerait leur réussite dans la culture professionnelle si elle était abordée au collège ; ils ne sont jugés que sur leurs résultats en enseignements généraux. Pour elles et eux, l’orientation est un verdict, celui de l’institution qui les oriente. La logique institutionnelle est telle qu’un élève qui aurait 15 de moyenne en 3e et souhaiterait aller en enseignement professionnel se verrait vivement conseiller d’aller au lycée général, avec une telle moyenne…
Si le Plan Avenir maintient le silence absolu sur cette injustice fondamentale, il a trouvé la parade en adjoignant au principe d’émancipation celui de responsabilité. Pendant quatre ans, le Collège, à la suite de l’école, donne à ses élèves, de manière globale, pour un observateur peu enclin à entrer dans le détail des niches d’entre soi qu’il réserve aux uns comme aux autres, les mêmes enseignements. Par conséquent, l’égalité formelle de traitement entre les élèves est respectée. Ce qui se joue, en toute "méritocratie républicaine", c’est la responsabilité individuelle : il y a celles et ceux qui se donnent les moyens de réussir et celles et ceux qui ne se les donnent pas. Les déterminismes s’effacent derrière la responsabilité individuelle de chaque élève.
Tel est le cynisme de ce Plan Avenir qui renvoie finalement chaque élève, chaque famille, à sa responsabilité.
Le traitement inégal des uns et des autres est confirmé dans le Plan Avenir avec, par exemple, la mesure 7 qui annonce "la prise en compte des compétences non scolaires pour l'orientation en voie professionnelle". Encore une fois, le deux poids deux mesures de l'injustice scolaire se manifeste ici. Pourquoi réserver la prise en compte des compétences non scolaires aux seuls élèves destinés à l'enseignement professionnel et non l'envisager pour tous les élèves ? Pourquoi "se tourner davantage vers la vie, valoriser d'aitres aptitudes que celles qui commandent aujourd'hui la réussite scolaire", pour reprendre les termes de René Haby, ne concernerait-il pas tous les collégiens et collégiennes ? La raison en est simple : la hiérarchisation des savoirs est telle que, pour la ministre de 2025, les savoirs strictement scolaires se suffisent à eux-mêmes, alors que le ministre de 1975 souhaitait modifier en profondeur les savoirs proposés aux collégiennes et collégiens. Peu importe que le monde incertain d'aujourd'hui rende plus urgente encore la maîtrise d'autres savoirs que les savoirs strictement scolaires.
Entre émancipation et responsabilité, l’accent est mis davantage, aujourd’hui encore, sur la responsabilité individuelle des élèves et des familles que sur l’émancipation collective. Lors de la prochaine passation de pouvoir rue de Grenelle, si passation il y a, on pourra sans doute observer la continuité du double langage ministériel, plutôt que la "rupture", annoncée par le premier ministre, avec celui-ci.
______________________________________
[1] https://www.education.gouv.fr/plan-avenir-l-orientation-pour-que-l-avenir-soit-un-choix-450556
[2] René Haby, propositions pour une modernisation du système éducatif, La Documentation française, février 1975, 51 p.