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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 12 janvier 2024

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Le legs éducatif de M. Attal : un droit d’inventaire utile pour l’avenir

Le premier ministre emportant avec lui la cause de l’école à Matignon, il n’est pas inutile d’observer de quelle manière il a servi la cause de l’école en moins de six mois passés rue de Grenelle.

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En moins de six mois, M. Attal aura ouvert de multiples chantiers dont on peut dresser un bilan provisoire, en tentant de lire le sens global de l’orientation qu’il a souhaité donner à l’enseignement scolaire. On s’en tiendra ici à quelques unes des mesures annoncées qui font système.

Interdiction de l’abbaya et des qamis et expérimentation du port de l’uniforme vont de pair. Il s’agit en apparence d’une approche de bon sens pour apaiser les potentielles tensions dans les établissements scolaires liées au port de vêtements susceptibles d’être interprétés soit comme des signes d’appartenance religieuse, soit comme des signes de distinction sociale. Mais  on peut douter d’abord que le port d’un uniforme soit garant du bonheur des élèves si l’on se réfère aux expériences vécues par les élèves en uniforme d’autres pays. On pourra d’une part s’étonner de voir imposé le port d’une tenue vestimentaire commune aux élèves alors que les personnels, fonctionnaires d’Etat, sont seulement tenus de porter une tenue neutre, d’autre part trouver quelque contradiction entre la recherche, à travers une tenue vestimentaire uniforme, d’un esprit d’appartenance partagé, alors que d’autres mesures vont dans une direction opposée, comme celle qui suit.

Choc des savoirs, groupes de niveau et redoublement.  La mise en place de groupes de niveau dès l’entrée au collège, en français et en mathématiques éclaire le sens qu’il faut donner au "choc des savoirs". Il ne s’agit pas d’interroger les savoirs enseignés et ceux qui ne le sont pas ou très mal, mais de renforcer le caractère traumatique de l’entrée au collège pour les élèves les plus fragiles scolairement. Ces derniers seront en effet séparés de leurs camarades, non seulement en français et en mathématiques, mais aussi dans d’autres cours dont ils pourront être dispensés pour faire plus de français et de mathématiques. Quel bonheur pour eux ! Et quelle façon indiscutable de creuser l’écart entre ceux qui, selon l'ex ministre de l'éducation nationale « s’envolent au delà des programmes »  et ceux qui resteront à jamais en deçà, et qui pourront « bénéficier » du redoublement restauré comme sanction-remédiation de résultats insuffisants. Redoublement dont on sait qu’il n’a d’effet positif véritable qu’exceptionnellement, mais des effets certains sur le destin scolaire de ceux qui ne sont plus à l’heure mais en retard dans leur scolarité.

Brevet examen d’entrée au lycée. Si l’examen d’entrée en sixième a disparu dès la fin des années cinquante du siècle dernier, le ministre invente donc un examen d’entrée au lycée, en vidant le contenu de l’examen de toute référence à l’acquisition de compétences participant du socle commun de compétences, de connaissances et de culture, mais en instaurant la primauté des notes des épreuves d’examen sur celles du contrôle continu. La classe de troisième va donc se transformer en classe de bachotage, au détriment du plaisir d’apprendre et d’enseigner, et d’apprentissages  qui ne font pas l’objet d’une évaluation à l’examen. Ceux qui n’auront pas le brevet iront dans de classes de prépa lycée dont le contenu demeure pour l’instant flou.

Abolition de la conservation du bénéfice des notes au baccalauréat. La note de service du 14-11-2023 abroge une note de service antérieure qui permettait depuis la session 2016 de conserver le bénéfice des notes obtenues à la session précédente. Voici donc une mesure, qui prenait en compte la vulnérabilité de certains élèves rayée d’un trait de plume, sans justification autre sans doute que « le choc des savoirs ».

Quand on  met en lien ces différentes orientations, on voit apparaître clairement une ligne de force.

Le ministre a inscrit son action politique dans une logique d’apparente uniformité (la tenue vestimentaire commune) mais de réelle séparation entre ceux qui réussissent et ceux qui ne réussissent pas ; dans une logique de renforcement de la politique des savoirs dans ce qu’elle a de plus traditionnel (hiérarchisation des savoirs, entre les "fondamentaux" et les "accessoires" ; les notes comme seule évaluation qui compte ; le redoublement comme « solution », l’examen d’entrée au lycée) : la machine à trier et à distiller sort renforcée, plus impitoyable encore, du passage rapide M. Attal à la tête du ministère. Il a affirmé, à sa prise de fonction de premier ministre : « j’emporte avec moi la cause de l’école, la mère de toutes les batailles ».

Nous voilà prévenus !

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