Pour la 36e année consécutive, les écoles, collèges et lycées sont appelés à participer à la Semaine de la presse et des médias dans l’École, organisée par le Clémi[1]. Cette année, la question posée, « Où est l’info ? », aborde un enjeu majeur de notre démocratie.
À l’heure où tous les repères se brouillent, avec les tenants de la « post-vérité » ou des « vérités alternatives », certes, mais aussi avec la généralisation de l’infotainement qui mêle information et divertissement, l’essor des réseaux sociaux dépourvus de modération (après X, Méta vient de renforcer ce recul de l’exigence de vérité), l’apparition de nouveaux formats journalistiques (BD, podcasts, Twitch) et l’entrée en jeu de l’intelligence artificielle, se demander où est l’info est plus que jamais une urgence civique.
Cela devait sans doute être au cœur de la formation scolaire de tous les jeunes, afin de les aider à entrer en citoyens lucides dans un monde d’incertitudes grandissantes et de transitions complexes, où la démocratie est menacée par des forces redoutables qui ne sont pas seulement militaires, armées, mais aussi des empires médiatiques, d’un côté comme de l’autre de l’océan Atlantique.
Peut-on se satisfaire d’une opération considérable comme la Semaine de la presse et des médias pour considérer que l’objectif de formation civique est atteint ?
Une semaine sur les 36 que compte l’année scolaire, ce n’est déjà pas beaucoup. Cela l’est encore moins quand on sait, par exemple, qu’en 2024, dans une académie, on comptait 80% des collèges et lycées et 20% des écoles inscrits à cette semaine. Que se passe-t-il vraiment dans les 20% de collèges et lycées et les 80% d’écoles non inscrits à cette semaine ?
Mais il faut aller plus loin encore. Si l’on veut effectivement éduquer à l’information et aux médias les nouvelles générations, il est indispensable que l’on fasse du savoir s’informer et du savoir informer une pratique continue, qui seule va permettre à chacune et chacun de faire l’expérience de la nécessité vitale de vérifier ses sources d’information, de distinguer l’angle de traitement des faits choisi, de choisir en responsabilité à l’égard du collectif auquel on s'adresse son propre angle de traitement lorsque l’on se prépare à intervenir sur un réseau social, une webradio ou une webTV, un journal en ligne.
Éduquer aux médias et à l’information passe aussi par la pratique sur le temps long de l’écriture médiatique. C’est ce qui se pratique dans certaines classes-médias, dans des clubs journal, radio, ou TV.
On vient de célébrer le dixième anniversaire des attentats de janvier 2015. En réaction à ce que l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo signifiait, le ministère de l’éducation nationale avait appelé « au développement des médias scolaires, radios, blogs, journaux dans chaque collège et lycée[2]».
Dix ans plus tard, on est bien loin d’avoir atteint cet objectif.
S’il faut donc se réjouir qu’en ce mois de janvier, les inscriptions à la Semaine de la presse et des médias dans l’école soient nombreuses, on ne saurait faire l’économie d’une réflexion sur ce qui fait que, malgré ses incessantes résolutions dans le domaine de l’éducation aux médias et à l’information, dont la généralisation a été proclamée dans une circulaire de janvier 2022[3], notre école ait tant de mal à aligner le faire sur le dire. C’est ce que j’aborde dans un chapitre de l’ouvrage que j’ai co-dirigé avec Régis Malet et qui vient d’être publié par Berger-Levrault : Oser une école commune, Savoir et agir pour faire société[4].
Se demander pourquoi plus de croyants que de pratiquants en éducation aux médias et à l’information dans l’école française, c’est nécessairement en venir à questionner des choix de sélection et de hiérarchisation des savoirs scolaires qui conduisent toute démarche éducative à s’en tenir aux marges, le cœur des enseignements étant réservé à des matières scolaires soigneusement hiérarchisées elles aussi, entre les fondamentales et les autres.
C’est cela qu’il faut repenser si l’on veut enfin sortir des éducations trop souvent en trompe l’œil de notre école, comme nous y incite le CICUR[5]. « Où est l’info ? » est sans nul doute une bonne question. Mais « Où en est vraiment l’éducation aux médias et à l’information ?» l’est aussi sans doute.
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[1] https://www.education.gouv.fr/semaine-de-la-presse-et-des-medias-dans-l-ecole-5159
La Semaine de la presse et des médias dans l’école est organisée par le Clémi https://www.clemi.fr/actions-educatives/semaine-de-la-presse-et-des-medias
[2] Dans le cadre des « Onze mesures pour une grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la république [22 janvier 2015] ».
[3] https://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo4/MENE2202370C.htm
[4] Jean-Pierre Véran & Régis Malet (dir.) Oser une école commune Savoir et agir pour faire société, Berger-Levrault, collection Au fil du débat Etudes, 2025. Préface de Patrick Rayou et André D . Robert, avec les contributions de Françoise Bougaeff, Bernard Desclaux, Faouzia Kalali, Luisa Lombardi, Gian-Franco Pordenone, Lijuan Wang