S’il est une expression qui peut donner l’illusion d’un consensus éducatif, c’est sans doute celle d’ « école de la République ». Derrière cette expression se dessinent pourtant de profondes divergences, selon que l’on pense à une école et une République de la conformation ou à une école et une république de la formation.
Pour y voir plus clair, on peut procéder en examinant ce qui se joue entre ces deux approches, du point de vue des valeurs de la République et de son principe de laïcité.
Liberté. Pour les uns, c’est d’abord la liberté de l’enseignement, c’est à dire la possibilité de développer, à côté du service public d’éducation, et en concurrence avec lui, un enseignement privé, bénéficiant, grâce à des contrats avec l’Etat, de financements publics. Pour les mêmes, c’est la liberté de choisir l’établissement scolaire, d’échapper à toute sectorisation, de manière à confier la formation scolaire de ses enfants aux établissements considérés comme les meilleurs sur le marché éducatif.
Pour les autres, Liberté, c’est d’abord la recherche de l’émancipation de tous à l’égard des préjugés, des contraintes financières, territoriales, sociales qui pourraient entraver la liberté d’apprendre, de se former, de réussir à l’école. Cette liberté suppose notamment des fonds sociaux pour aider les enfants les plus humbles à venir à l’école sans avoir le ventre vide ni mal dormi, pour avoir des lunettes qui corrigent leur vision s’ils en ont besoin. Cette liberté suppose aussi une formation rigoureuse à la liberté de penser, grâce à une formation continue de l’esprit critique, au libre examen, au débat argumenté.
Egalité. Pour les uns, l’égalité se résume à l’ « égalité des chances », autre formule passe-partout et apparemment consensuelle du débat éducatif français. Il suffirait que les élèves d’une même génération soient exposés aux mêmes programmes d’enseignement pour qu’elle soit réalisée. Qui ne partage pas cette approche est aussitôt accusé d'"égalitarisme".
Les autres n’ont pas oublié la parabole du nain et du géant exposée par Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes : « non seulement l'éducation met de la différence entre les esprits cultivés et ceux qui ne le sont pas, mais elle augmente celle qui se trouve entre les premiers à proportion de la culture ; car qu'un géant et un nain marchent sur la même route, chaque pas qu'ils feront l'un et l'autre donnera un nouvel avantage au géant ». Ils ne manquent pas d’appuis à leur démonstration : selon de multiples études nationales et internationales, la réussite scolaire est dans notre pays très inégale selon le milieu social auquel on appartient.
Fraternité : Pour les uns, la fraternité suppose de réduire l’autre à soi-même, d’assimiler les différences dans une uniformité commune. Parmi eux se comptent notamment les partisans du port de l’uniforme, mais l’uniformité vestimentaire n’est que le révélateur d’un universalisme de surplomb, qui porte à croire que les savoirs, les représentations que nous a légués notre histoire sont la meilleure garantie contre les pernicieuses théories venues de l’étranger.
Pour les autres, la fraternité n’est pas une fraternité limitée à l’histoire nationale, mais une fraternité humaine qui nous fait reconnaître en l’autre individu, l’autre peuple, une dignité égale à la nôtre, et aux autres espèces un égale dignité.
Laïcité : pour les uns, il s’agit d’un esprit de conformité qui soupçonne, derrière le respect de la loi, des intentions subversives. Pour eux, il ne suffit pas que des collégiennes ne portent pas de voile sur leurs cheveux, ce qu’impose la loi, mais il est inadmissible qu’elles portent un bandeau dans les cheveux.
Pour les autres, la laïcité ne signifie pas l’unicité et l’uniformité des vêtements, des opinions, des croyances et convictions, mais « doit être comprise comme une valeur positive d'émancipation et non pas comme une contrainte qui viendrait limiter les libertés individuelles. Elle n'est jamais dirigée contre des individus ou des religions, mais elle garantit l'égal traitement de tous les élèves et l'égale dignité de tous les citoyens. Elle est l'une des conditions essentielles du respect mutuel et de la fraternité[1]».
On perçoit mieux, alors, en quoi les formules toutes faites qui scandent le débat éducatif peuvent sonner creux et empêcher de poser des questions de fond, qui sont, bien entendu, des questions politiques. Questions politiques non pas au sens politicien du terme, car les oppositions que nous avons mises en lumière traversent souvent différents mouvements politiques, permettant parfois d’entrevoir des convergences inattendues. Questions donc à poser aux citoyens dans un débat public qui ne serait pas destiné à cacher la poussière sous le tapis, mais à déterminer en toute clarté quelle république et quelle école nous voulons.
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[1] Circulaire n° 2013-144 du 6-9-2013