Le ministère de l’éducation nationale vient de publier en ligne le rapport des inspections générales sur le suivi de la mise en œuvre de la réforme du lycée général et technologique[1].
Comme toujours ce rapport, fondé sur une enquête approfondie, de multiples visites et rencontres, représente un très riche travail de recueil de données quantitatives et qualitatives, d’analyses et de préconisations utiles. Mais on prendra le parti, dans ce billet, de s’attacher à ce qu’il n’évoque que fugitivement, pour y trouver sans doute matière à questionnement sur un écart toujours marqué entre certaines préconisations institutionnelles et la culture institutionnelle si fortement enracinée dans les établissements comme au ministère.
Il n’est pas inutile, avant d’entamer cette lecture, de rappeler la présentation faite de la réforme par le ministère lui-même dans le site qui lui est dédié Nouveau lycée 2011[2]. La réforme, exprimée du point de vue des lycéens, vise cinq objectifs :
- s’informer pour choisir sa voie
- être mieux accompagné durant les années lycées
- maîtriser les langues vivantes
- s’engager pleinement dans la vie culturelle du lycée (avec une vie culturelle dynamisée au sein des lycées, des partenariats renforcés avec des établissements culturels, un professeur « référent culture » chargé d’animer la vie culturelle du lycée)
- être davantage responsabilisé (avec les engagements civiques ou scolaires et le bénévolat valorisés et reconnus, la modernisation des modes de représentation des lycéens).
Une rapide recherche des occurrences de certains termes liés à ce dernier objectif de la réforme dans le rapport apporte de premières indications.
CVL (conseil pour la vie lycéenne) : 1 occurrence dans le rapport, 2 en annexe 3 dans la grille de recueil d’informations dans les établissements.
MDL (maison des lycéens) : 0 occurrence.
Conseiller principal d’éducation, référent vie lycéenne : 0 occurrence.
Vie lycéenne : 0 occurrence dans le rapport, 1 occurrence dans la même annexe 3, à la toute fin de la grille de recueil d’information proposant une chaîne lexicale intéressante : « Les évolutions prévues ou souhaitables en cours d’année sur des points de la réforme qui n’avaient pas encore été abordés. Le projet culturel ? La place du CDI ? La vie lycéenne ? Le fonctionnement du CVL ? ».
On se gardera bien, avant d’avoir lu le rapport lui-même, de déduire de cette approche lexicologique que le projet culturel, le CDI (centre d’information et de documentation), la vie lycéenne et le CVL, loin d’être partie constitutive de l’essentiel de la réforme sont situés, de fait et non de droit, de manière annexe dans la réforme comme dans le rapport qui analyse sa mise en oeuvre.
Le rapport consacre sa troisième partie à « la transformation des modes de pilotage » dans « des lycées plus autonomes ». On s’attend bien évidemment à ce que soit abordée la question du rôle du conseil pédagogique, institué par la loi d’orientation du 23 avril 2005, dans la mise en œuvre de la réforme. Le conseil pédagogique réunit, rappelons-le, au moins un professeur de chaque discipline, un professeur principal de chaque niveau et le conseiller principal d’éducation. Le rapport accorde toute sa place à l’analyse de l’implication diversifiée selon les lycées de cette instance participative.
Une autre instance participative, antérieure au conseil pédagogique, existe dans les lycées : c’est le conseil de la vie lycéenne, qui réunit à parité des lycéens élus par l’ensemble des élèves de l’établissement et des professionnels de l’établissement. Rappelons que, selon la circulaire 2010-128 du 20-8-2010, le CVL « est obligatoirement consulté sur :
- les questions relatives aux principes généraux de l’organisation des études, sur l’organisation du temps scolaire, sur l’élaboration du projet d’établissement et du règlement intérieur, ainsi que sur les questions de restauration et d’internat ;
- les modalités générales de l’organisation du travail personnel, de l’accompagnement personnalisé, des dispositifs d’accompagnement des changements d’orientation, du soutien et de l’aide aux élèves, des échanges linguistiques et culturels en partenariat avec les établissements d’enseignement européens et étrangers ;
- l’information relative à l’orientation, aux études scolaires et universitaires et aux carrières professionnelles ;
- la santé, l’hygiène et la sécurité, l’aménagement des espaces destinés à la vie lycéenne ;
- l’organisation des activités sportives, culturelles et périscolaires ».
On ne peut nier le fait que le CVL est doublement concerné par la mise en œuvre de la réforme du lycée : d’une part parce que celle-ci relève de ses attributions (il doit être obligatoirement consulté), d’autre part, parce qu’un des objectifs affichés du nouveau lycée est, pour chaque lycéen, d’être davantage responsabilisé.
Le rapport de 72 pages (hors annexes) consacre exactement deux lignes et demie, page 43 à la question : « Les CVL ne sont pas consultés sur ces questions. Les élèves sont peu ou pas informés des objectifs et modalités de l’AP (accompagnement personnalisé, NDR) au niveau du lycée comme au niveau de leur classe. Cela contribue à leur incompréhension et déception face à l’AP. »
Ce n’est sans doute pas le moindre paradoxe de ce rapport de le voir constater un état de fait en contradiction avec la politique ministérielle, sans pour autant formuler la moindre recommandation à ce sujet. Sept préconisations sont faites à la fin de ce chapitre, aucune ne met l’accent sur la participation des lycéens, au travers du CVL notamment, à la réflexion sur la mise en oeuvre de la réforme, notamment sur les attentes des lycéens à l’égard de l’accompagnement personnalisé.
En toute cohérence, l’annexe 2, qui présente la grille pour les entretiens avec les autorités académiques, ne comporte aucune mention du délégué académique à la vie lycéenne ni du conseil académique de la vie lycéenne.
Cela suscite quelques questions.
Comment s’étonner que les conseils de la vie lycéenne mobilisent si peu les lycéens lors des élections annuelles, et les élus eux-mêmes, s’ils sont tenus à l’écart des questions sur lesquelles ils devraient être consultés, questions essentielles pour la vie et le travail des lycéens ?
Comment ne pas s’étonner qu’une dimension affichée de la réforme du lycée soit passée sous silence dans un rapport de suivi de sa mise en œuvre ?
Cela ne risquerait-il pas d’accréditer l’idée que les instances de la vie lycéenne ont été plus concédées que créées à des fins éducatives, qu’elles sont perçues non comme un levier de responsabilisation et de formation civique, un élément clef de la bonne gouvernance des lycées, mais plutôt comme une contrainte dérangeante dont on ne s’émeut pas qu’elle soit tenue à l’écart de ce qui la concerne au premier chef ?
[1] http://media.education.gouv.fr/file/2012/96/8/Rapport-IG-Suivi-de-la-mise-en-oeuvre-de-la-reforme-du-lycee-d-enseignement-general-et-technologique_209968.pdf
[2] http://www.education.gouv.fr/nouveau-lycee/l_essentiel_du_nouveau_lycee.php#