« Politique éducative » figure sans doute parmi les syntagmes les plus employés dans les discours et textes de l’institution éducative, mais renvoie à une réalité des plus diverses, voire des plus floues.
Première ambiguïté : « politique éducative » inclut –il instruction et éducation, ou s’oppose-t-il à politique pédagogique, conformément au dualisme bien établi de l’ordre secondaire français ? Ce n’est sans doute pas un hasard si la loi d’orientation de 2005 a mis en place un conseil pédagogique, qui, comme instance participative, fait pendant au comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) créé en 1998. Ce n’est pas un hasard non plus si, dans les propositions du rapport Thélot de 2004[1], à la suite du grand débat national sur l’avenir de l’école, était proposée une organisation nouvelle de la direction d’établissement avec la création d’un directeur de la vie éducative, travaillant, en ce qui concerne l’accompagnement des élèves, « en liaison avec les enseignants responsables de la pédagogie ». Aujourd’hui, on ne peut exclure le fait que, dans certains établissements, le conseil pédagogique et le comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) ne délibèrent et ne préparent pour le conseil d’administration une politique pédagogique pour le premier, une politique éducative pour le second qui ne sont pas en relation l’une avec l’autre, chacune étant prise en charge par des acteurs différents. Et encore ne pêche-t-on pas par optimisme quand on parle de l’une et de l’autre au singulier ?
Deuxième ambiguïté : « politique éducative » est-il écrit et pensé au singulier ou au pluriel ? L’emploi de ce dernier est très fréquent. A titre d’exemple, on citera les multiples références aux « volets » du projet d’établissement évoqués dans les circulaires ministérielles : « à la rentrée 2009, les projets d’établissement du second degré intègreront un volet culturel… », « le programme d’information sur l’orientation comportera un volet relatif à l’orientation active… » [2]. Ces « volets » sont caractéristiques de la présentation de bien des projets d’établissement : le volet culturel, le volet social, le volet orientation, le volet vie scolaire, le volet documentation ou CDI, le volet santé, sont successivement égrenés, sans lien les uns avec les autres, dans une juxtaposition qui ne constitue en rien une politique explicitement cohérente. On s’étonnera, par exemple, qu’on puisse prescrire dans la circulaire n°2009-068 du 20-5-2009 parue au Bulletin officiel n°21 du 21 mai 2009 un « volet culturel », comme si toutes les activités scolaires ne contribuaient pas à l’appropriation par l’élève de la culture nécessaire à son épanouissement. Pour résumer, l’emploi de « politiques » au pluriel n’abolit-il –t-il pas la possibilité même d’une véritable politique ?
Troisième ambiguïté : la « politique éducative » est-elle vraiment prise en charge par l’établissement et l’ensemble de ses acteurs, ou est-elle sous-traitée par l’établissement à un ensemble d’intervenants extérieurs ? Il suffit d’examiner les programmes d’actions élaborés par les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté pour constater que trop souvent ils sont constitués d’un catalogue annuel d’interventions, programmées avec divers partenaires : la brigade de prévention de la délinquance juvénile pour les addictions et leur traitement pénal, la société chargée du ramassage scolaire pour la sécurité et la civilité dans les transports en commun, un spécialiste du CHU pour la prévention des maladies sexuellement transmissibles, telle organisation d’éducation populaire pour la formation des délégués, telle mutuelle pour la sécurité routière, telle association pour les dangers de la prostitution… Ce qui est frappant, dans ce contexte, c’est que les élèves sont exposés à des interventions extérieures, qui ne seront pas plus exploitées en aval qu’elles n’ont été préparées en amont. Il n’est pas rare de voir un enseignant conduire sa classe sur le lieu de l’intervention puis s’éclipser en salle des professeurs, laissant les élèves face à l’intervenant, montrant par là que cette intervention ne concerne nullement l’enseignement. L’éducation est ainsi externalisée, et marginalisée.
Un des enjeux de l’année qui commence, an 1 de la refondation de l’école de la République, se situe ici. En finira-t-on vraiment avec le dualisme entre instruction et éducation, et avec le morcellement et l’externalisation de l’action éducative ? Dans les établissements scolaires, les directions peuvent s’appuyer notamment sur les conseillers principaux d’éducation et les professeurs documentalistes pour être, par leur active contribution aux travaux du conseil pédagogique et du CESC, garants, avec elles, de l’unicité de la politique pédagogique et éducative de l’établissement.
[1] Pour la réussite de tous les élèves, SCEREN – La documentation française, 2004 http://www.education.gouv.fr/archives/2003/debatnational/upload/static/lerapport/pourlareussite.pdf
La Commission souhaite voir se constituer dans les collèges et les lycées un véritable service de la vie éducative, pourvu d’un directeur intégré à l’équipe de direction. Le nouveau directeur de la vie éducative, choisi par le chef d’établissement parmi les CPE – dont le nombre doit dépendre de la situation de chaque établissement et des besoins mis en évidence par le contrat passé avec les autorités de tutelle –, se verrait confier l’organisation de la vie scolaire et la mise en œuvre de plusieurs fonctions : la surveillance, l’apprentissage de la civilité et l’éducation à la citoyenneté (en concertation avec le reste de la communauté éducative), l’orientation (en collaboration avec les conseillers d’orientation et les enseignants) ainsi que, en liaison avec les enseignants responsables de la pédagogie, l’accompagnement pédagogique des élèves.
[2] http://eduscol.education.fr/cid47715/circulaire-2009-2010.html