Quelle représentation les français de 18 ans et plus ont-ils de l’éducation à la citoyenneté ? Une enquête BVA pour le CNESCO et la CASDEN, réalisée en octobre 2015[1], dégage des lignes de force : une vision multidimensionnelle, un consensus transgénérationnel paradoxal sur la méconnaissance par les jeunes de la citoyenneté, l’école plus que la famille comme lieu d’apprentissage pour les jeunes, la sous estimation des enjeux de l’éducation aux médias et aux réseaux sociaux numériques, l’importance des cours et des pratiques actives, la méconnaissance des instances de vie lycéenne.
La France est en Europe le pays qui accorde le plus grand nombre d’heures à l’enseignement civique[2] : pendant 12 années consécutives, l’enseignement de la citoyenneté est obligatoire, clairement identifié et associé à des quotas d’heures définis. Il n’est donc pas surprenant que l’école apparaisse comme un lieu essentiel de l’apprentissage de la citoyenneté : pour 46% des 18-24 ans, c’est l’école qui est le cadre d’apprentissage de la citoyenneté, alors que les plus de 65 ans pensent à 74% que c’est la famille qui offre prioritairement ce cadre.
En revanche, on peut trouver paradoxal qu’à peine un peu plus de 20% des 18-24 ans pensent que les jeunes ont une connaissance suffisante de leur rôle de citoyen, pourcentage qui baisse régulièrement jusqu’à 6,5% pour les plus de 65 ans, avec un taux moyen de 13%, contre 86% qui pensent le contraire.
On connaît par diverses études, de l’inspection générale notamment, les raisons de cet apparent paradoxe. La note de janvier 2015 du CNESCO[3] résumait ainsi dans son titre la situation : Apprentissage de la citoyenneté dans l’école française : un engagement fort dans les instructions officielles, une réalité de terrain en décalage. « L’apprentissage des valeurs citoyennes de la République apparaissent (sic) souvent hors-sol et désincarnées ».
Quelle vision de la citoyenneté ont les citoyens français ? Pour plus de 80% d’entre eux, c’est d’abord respecter la loi (avec 72% tout à fait d’accord), puis défendre le droit à l’éducation pour tous (moins de 50% tout à fait d’accord), participer à la vie politique (un peu plus de 40% tout à fait d’accord), lutter contre les discriminations (un peu plus de 30% tout à fait d’accord) ; être solidaire avec les plus démunis (26% tout à fait d’accord) n’atteint pas 80% d’avis favorables, et participer à la vie associative (20% tout à fait d’accord) atteint 70% à peine d’avis favorables. On le voit, la citoyenneté est majoritairement plutôt du côté du respect de la loi et des règles que de l’engagement dans la vie de la cité pour éventuellement les changer. On vérifie ainsi le décalage entre les instructions officielles qui appellent à l’engagement des élèves[4] et la réalité de l’éducation reçue.
Quels enseignements sont particulièrement importants pour former les citoyens ? Les droits de l’homme et de l’enfant, l’égalité entre les filles et les garçons arrivent en tête, avec plus de 60% tout à fait d’accord, devant les principes de la laïcité et l’étude de la morale, avec plus de 50% tout à fait d’accord. Suivent la lutte contre les discriminations et les institutions politiques, juridiques et sociales, avec plus de 40% tout à fait d’accord. La création et le fonctionnement de l’Europe ne recueillent que moins de 30% de tout à fait d’accord, comme l’usage des médias, alors que l’utilisation des réseaux sociaux ne recueille qu’un peu plus de 10% de tout à fait d’accord, même si les 18-24 ans sont plus nombreux que cette moyenne.
Les cours d’éducation civique, ou d’enseignement civique et moral sont plébiscités à 93%, comme l’étude des textes fondateurs à 86%. Mais la participation des élèves à la vie collective et à l’organisation de la classe recueille également 93% d’avis favorables, l’organisation de débats civiques en classe 88%, la réalisation de projets solidaires, environnementaux 85%.
Si l’enseignement moral et civique est majoritairement connu des français (62% savent de quoi il s’agit) comme l’organisation de l’élection des délégués de classe (90% des français savent de quoi il s’agit), il n’en va pas de même du conseil des délégués pour la vie lycéenne (connu par 27% seulement) ou les projets citoyens solidaires hors de l’école (18% seulement).
On le voit, cette vision que les français ont de l’apprentissage de la citoyenneté met en lumière certains points forts et souligne également les domaines où des progrès sont souhaitables. Comme notre modèle politique d’éducation le veut, le principe d’institution du citoyen par les Lumières de la connaissance prévaut encore aujourd’hui : l’attachement des français aux principes et valeurs de la République et à leur enseignement– laïcité, égalité, droits de l’homme et du citoyen, non discrimination- en témoigne. Même si on note encore une forme de réticence à l’égard de l’engagement des élèves dans des actions hors l’école ou de la connaissance des réseaux sociaux, on observe que la participation des élèves à la vie de la classe et de l’établissement, leur contribution à des projets solidaires ou environnementaux sont considérés comme particulièrement propices à l’apprentissage de la citoyenneté. Au 21e siècle, on commence donc à accorder une place reconnue à l’empouvoirement ou encapacitation des élèves dans des initiatives, au côté de leur décillement par les savoirs.
On peut donc penser que la méconnaissance de certaines instances et enjeux constitue pour les équipes éducatives un encouragement à renforcer leur action dans ces domaines : on connaîtra mieux le conseil de la vie lycéenne s’il est effectivement saisi de toutes les questions qui sont de son ressort dans chaque lycée, et il en ira de même avec les conseils de vie collégienne ; plus on donnera l’occasion aux élèves de s’inscrire aussi dans des projets solidaires hors l’école, mieux ceux-ci apparaîtront comme de bons moyens de favoriser l’apprentissage concret de la citoyenneté.
[1] Et publiée le 27 janvier 2016 : http://www.casden.fr/Votre-banque-cooperative/Suivre-nos-actualites/Espace-presse/Etre-citoyen-aujourd-hui-une-perception-elargie-pourtant-meconnue-des-jeunes-selon-un-sondage-BVA-pour-la-CASDEN-et-le-CNESCO
Précaution d'interprétation : "L’échantillon obtenu est assez différent de la population mère qu’il vise à représenter. Même si l’usage de poids permet en partie de réduire ces décalages, les résultats de l’étude sont à interpréter avec prudence".
[2] Eurydice (2012), L’éducation à la citoyenneté en Europe, Bruxelles
[3] http://www.cnesco.fr/fr/apprentissage-de-la-citoyennete-dans-lecole-francaise
[4] Avec les semaines de l’engagement lycéen
venant après la circulaire du 16 juillet 2014 sur l’engagement lycéen :
http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=81301