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Billet de blog 14 mai 2023

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École des mots vs école des choses : la preuve par le lycée pro

Rien ne manque dans le discours sur la réforme du lycée professionnel : excellence, réussite. Les mots ne sont pas nouveaux, mais les discours, au fil des décennies, ne modifient pas la réalité d’un lycée professionnel chargé de prendre en charge massivement l’échec scolaire des jeunes issus de milieux populaires.

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« 12 mesures pour faire du lycée professionnel un choix d'avenir pour les jeunes et les entreprises : parce que la voie professionnelle doit redevenir une voie de réussite, d'excellence et reconnue par tous, le Président de la République a annoncé, jeudi 4 mai 2023, des moyens inédits et des mesures fortes pour réformer les lycées professionnels[1]». Le titre et le chapô de l’article du site du ministère de l’éducation nationale sur la réforme du lycée professionnel correspondent parfaitement à l’école des mots, c’est à dire au discours officiel à propos de l’école. La voie professionnelle est associée à un choix d’avenir, pour les jeunes et les entreprises, à la réussite, à l’excellence, et doit être « reconnue par tous ». Pour atteindre cet objectif, moyens inédits et mesures fortes sont au rendez-vous.

Pour qui connaît l’histoire du ministère et celle de l’enseignement professionnel[2], cela n’a rien de nouveau. Une circulaire publiée le 8 janvier 1985 indique en effet qu’ « une grande filière de formation professionnelle doit être promue. Elle doit constituer pour ceux qui s’y engagent une véritable filière de réussite ouverte sur l’exercice d’un métier gratifiant et propre à susciter des vocations ». La circulaire du 17-12-2001 présente le label lycée des métiers en indiquant que « comme pour tout EPLE, l'attractivité du lycée des métiers s'exerce également au travers de la qualité de l'environnement éducatif qu'il peut proposer aux publics accueillis ; dans ce domaine, il doit viser l'excellence[3] ». A des décennies d’écart, reviennent les mêmes mots : réussite, excellence…

Ce recours aux mêmes mots traduit sans doute une continuité dans les objectifs visés, mais aussi, hélas, une continuité dans l’incapacité à les atteindre.

Face au lycée pro des mots, se dresse le lycée pro des choses, celui de certaines réalités qui démentent les mots des discours officiels.

Les trois quarts des collégiens empruntant au sortir du collège la voie professionnelle ont une année ou plus de retard scolaire, malgré l’effondrement des taux de redoublement à l’école et au collège. C’est à l’enseignement professionnel qu’on demande de prendre en charge des élèves dont certains sont en échec scolaire depuis le cours préparatoire.

Si un collégien sur trois est orienté en lycée professionnel après la classe de troisième, combien le sont en conformité avec leur vœu d’orientation ? Les plus en difficulté- un tiers d’entre eux- iront préparer un CAP, les autres un bac pro.Les collégiens orientés en voie professionnelle sont -pour 70% d’entre eux en CAP et 55% en bac pro- issus des catégories socio-professionnelles défavorisées, ouvriers, chômeurs, inactifs.

Pour le dire schématiquement, le lycée pro, voie d’excellence et de réussite dans les mots est, dans les faits, dévolu à la prise en charge de l’échec scolaire des jeunes issus majoritairement de milieux populaires. On trouve ici une illustration de « l’écart entre l’énoncé et le réel » souligné dans un rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale daté de janvier 2003[4].

Lire les douze mesures de 2023 avec ce recul historique ne manque pas d’intérêt. On savourera notamment l’expression « reconnue par tous » en la rapprochant la composition sociologique des lycéens professionnels… Et on méditera le salutaire rappel du secrétaire général du syndicat national de l’enseignement technique dans sa préface à l’ouvrage cité de Daniel Bloch : « il s’agit de former des citoyens autonomes, libres, et pas seulement des producteurs[5] ». Autant de mots absents de la présentation des douze mesures sur le site du ministère…

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[1] https://www.education.gouv.fr/12-mesures-pour-faire-du-lycee-professionnel-un-choix-d-avenir-pour-les-jeunes-et-les-entreprises-378032

[2] On se reportera à Une histoire engagée de l’enseignement professionnel de 1984 à nos jours, écrite par Daniel Bloch et publiée aux Presses universitaires de Grenoble, 2022

[3] https://www.education.gouv.fr/bo/2001/47/encart.htm

[4] R. Cahuzac, J-P. Delahaye, B. Doriath, « les dispositifs de formation en alternance au collège », Rapport 2003-002, ministère de l’éducation nationale, https://www.vie-publique.fr/rapport/26002-les-dispositifs-de-formation-en-alternance-au-college

[5] P Vivier, Préface à Une histoire engagée de l’enseignement professionnel, de Daniel Bloch, PUG, 2022

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