Le décret n° 2022-540 du 12 avril 2022 relatif au comité d'éducation à la santé, à la citoyenneté et à l'environnement[1] est révélateur de la pensée éducative officielle.
De quoi s’agit-il ? Le comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté, créé en 1998 par transformation du comité d’environnement social, devient, par ce décret, comité d’éducation à la santé à la citoyenneté et à l’environnement « en raison de l'élargissement de sa compétence aux problématique environnementales ».
Ainsi est traitée la mission éducative de l’école : par ajout successif d’"éducations à", dans les instructions officielles comme dans les dénominations d’instances en charge de la question éducative. On avait déjà, parmi d'autres, le parcours citoyen et le parcours éducatif de santé : le parcours d’éducation à l’environnement ne devrait pas tarder à être créé si l’on poursuit cette logique.
Parallèlement à ces parcours et éducations à, les enseignements eux-mêmes sont porteurs de connaissances dans ces divers domaines : l’éducation morale et civique, l’éducation musicale et les arts plastiques, les sciences de la vie et de la Terre notamment.
Les contenus d’enseignement sont-ils par nature cohérents avec les objectifs éducatifs assignés aux éducations à et aux parcours correspondants ? Cette question mérite d’être posée. Un article récent publié dans la revue Éducation et socialisation - Les Cahiers du CERFEE [2] dont le dossier du n° 63 porte sur l’éducation au politique pour les questions environnementales et de développement, questionne la contribution des programmes de sciences de la vie et de la Terre (SVT) à l’éducation au politique dans le domaine environnemental. Ce que les auteures de l’article[3] mettent en lumière, c’est qu’aborder les questions environnementales, comme toute question de politique éducative, suppose « articuler des savoirs, des valeurs et des actions ». Or, ce qui caractérise les programmes d’enseignement de SVT, ce sont, selon les auteures, « des programmes et des manuels ancrés dans des dualismes et le paradigme de la modernité et une tendance à la dépolitisation des questions environnementales » : « pour aller extrêmement vite, le paradigme de la modernité est encore d’actualité, il est fondé sur la pensée rationnelle, la technique et le dualisme nature-culture » (Curnier, 2019, p. 95). L’anthropocentrisme domine encore dans des manuels scolaires où "l’espèce humaine est représentée au centre des écosystèmes, et la nature est perçue exclusivement au travers des services rendus à ou par l’espèce humaine". « Une politique économique de gestion de l’environnement », fondée sur la confiance en la technique et la modernisation constitue l’approche dominante. Les auteures notent « une tendance à une dépolitisation des questions environnementales (QE), alors qu’une politisation des QE pourrait consister à s’intéresser à la justice environnementale entendue comme catégorie politique valorisant les résistances aux inégalités face aux changements environnementaux, aux inégalités de développement et aux inégalités alimentaires (Slimani, 2019) ».
On le voit, il ne suffit pas d’un changement d’intitulé d’une instance pour donner le signal d’un changement effectif des contenus et modalités de formation des élèves.
La question posée par ce décret est une question fondamentale de notre système de formation : la césure entre enseignements et éducation, l’accumulation d'éducations à et de parcours éducatifs en lisière des enseignements qui se taillent la part du lion dans le temps scolaire, le caractère encore trop anthropocentrique, voire fortement national des programmes d’enseignement, ne sont pas compatibles avec la formation souhaitable pour les futurs citoyens du 21e siècle, ouverts sur l’ensemble des cultures humaines et sur les enjeux d’avenir de la planète Terre.
Il serait urgent de se poser ces bonnes questions pour apporter à la question éducative des réponses qui soient enfin à la hauteur des enjeux, comme y incite le Collectif d’interpellation du curriculum (CICUR)[4]. Penser séparément programmes d’enseignement et mission éducative est une aberration. Ce dont les élèves ont besoin c’est d’un curriculum cohérent, articulant savoirs, valeurs et actions, où ils apprennent non pas seulement par les cours et les discours, mais par la vie même et l’expérience, comme l’appelaient de leur vœux Langevin et Wallon en 1946, les vertus civiques fondamentales.
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[1] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045570660
[2] https://journals.openedition.org/edso/