Après le tragique assassinat d’un professeur par un terroriste se réclamant d’Allah, trois ans après celui d’un de ses collègues, on a d’abord besoin de silence, pour se recueillir et pour commence à réfléchir, individuellement puis collectivement.
Se recueillir autour des victimes de la barbarie terroriste, Dominique Bernard et Samuel Paty, deux professeurs aussi ordinaires qu’exceptionnels. Ordinaires parce qu’ils ont accompli jour après jour comme tant de leurs collègues leur mission d’éveil auprès de leurs élèves, pour les accompagner dans leur entrée dans la culture humaine et dans la société. Exceptionnels, pace qu’ils incarnent désormais la grandeur fragile de cette impérieuse mission face à la menace terroriste.
Faire silence aussi pour éviter de recouvrir de vaines paroles la brutalité du scandale qui s’est accompli : parler une fois encore de l’école comme d’un sanctuaire républicain ou comme d’une forteresse assiégée, ou comme d’un temple des savoirs profané ; parler une fois encore de mesures de sécurité renforcées, certes indispensables, mais dont on a pu mesurer l’incapacité à prévenir le pire ; promettre une fois encore « plus jamais ça ! », quand on ne peut que redouter de ne jamais pouvoir le garantir.
Faire silence pour tenter de réfléchir non pas de manière réflexe, avec un prêt à penser et à proclamer usé jusqu’à la corde. Quelle contribution apporter à la réflexion collective indispensable pour préparer un avenir incertain ?
Peut-être prendre justement le contrepied des clichés si faciles à mobiliser dans l’émotion qui nous étreint. Se dire que l’école est porteuse de formation et d’éducation, mais que l’entrée en humanité est l’affaire aussi des familles, des autres institutions, des associations d’éducation populaire, et que c’est ce collectif qui doit se constituer plus fortement encore pour que l’éducation fasse reculer en chacun l’obscurantisme et la tentation du repli fanatique. Se dire que la radicalisation et l’enfermement criminel dans une prétendue foi en l’islam ne sont que la dernière étape d’un processus de désaffiliation qui connaît d’autres étapes : octobre 2023 n’est pas si éloigné de juillet 2023 où nous avons vu dans notre pays non pas assassiner des professeurs mais brûler des écoles… Cette désaffiliation d’une partie de la jeunesse ne peut avoir de réponse exclusivement sécuritaire. Il y faut une réponse politique à la hauteur des enjeux. Une réponse en termes de politique sociale, de politique du logement et d’aménagement du territoire, de politique éducative et culturelle. Une réponse qui permette à chacune et chacun des jeunes dans son quotidien à l'école et ailleurs d'éprouver plus de liberté, d'égalité et de fraternité.
Voilà sans doute quelques pistes de travail qui peuvent nous donner envie de poursuivre au quotidien le travail d’éducation dans nos écoles comme dans nos quartiers, nos villes et nos villages, en étant fidèles à la mémoire toujours vive de ceux qui ont perdu la vie en accomplissant leur métier de professeur.