Une étude réalisée dans l’académie de Créteil et publiée dans le numéro 90 d’avril 2016 d’Education et formations[1] apporte quelques enseignements prudents, confortés par d’autres enquêtes menées dans d’autres pays : les raisons internes à l’institution scolaire sont importantes dans le décrochage scolaire.
En effet, au Canada comme aux Etats-Unis, « un ensemble de résultats plaçant les motifs d’ordre scolaire comme les plus fréquents. ». Un étude publiée en 1998[2], par exemple, indique que « pour près de la moitié des jeunes, le décrochage se rapporte au fait qu’ils estiment les cours inintéressants. Et cette proportion augmente avec le niveau d’études : plus celui-ci est élevé, plus les jeunes déclarent avoir décroché par ennui. ». Dans une autre enquête[3], en 2006, il apparaît que « la majorité des raisons évoquées par les jeunes sont encore une fois d’ordre scolaire (83 %), cette proportion est nettement plus forte pour les garçons (89 %) que pour les filles (75 %). »
En France, une étude réalisée en 2014 dans l’académie de Nantes[4] « met là encore en évidence l’importance des raisons liées au contexte scolaire. Pour 76 % des jeunes, le décrochage intervient parce qu’ils « en ont marre de l’école », posture déclinée sur différents motifs : cours inintéressants, méthodes d’enseignement inappropriées, sentiment d’inutilité de l’école, etc ».
L’enquête réalisée dans l’académie de Créteil a été effectuée en novembre 2014, auprès de jeunes figurant comme jeunes en rupture de scolarité dans les fichiers du système interministériel d’échange d’informations (SIEI). 762 personnes ont répondu au questionnaire.
« Une première analyse des résultats indique que parmi les items proposés certains motifs sont partagés par une majorité des décrocheurs : « Je voulais avoir une activité professionnelle » (68 %), « Je voulais gagner de l’argent » (60,4 %) et « J’en avais marre de l’école » (64,4 %). Cette lassitude de l’école s’exprime sous diverses formes : lassitude parce que les contenus d’enseignements ne correspondent pas à leurs attentes et sont considérés comme insuffisamment professionnalisants et manuels ; lassitude encore parce qu’ils trouvent que les enseignants utilisent des méthodes pédagogiques inadaptées, que le dialogue est difficile à établir et qu’ils sont victimes d’injustice. 28,7 % considèrent que le travail demandé par les enseignants était trop difficile. Les problèmes personnels, une maladie ou un accident potentiellement à l’ori-gine de leur décrochage sont plus rarement cités (13,3 %). Les conditions matérielles (éloi-gnement géographique, coût des études) sont peu évoquées (respectivement 18,1 % et 3,8 %). Enfin, les jeunes déclarent rarement que leur entourage amical et familial les décourage à poursuivre leurs études (14,3 %). »
Les auteurs estiment que « cette enquête confirme les résultats obtenus dans d’autres contextes nationaux. Le décrochage scolaire est vécu par les jeunes comme un événement essentiellement inscrit dans une expérience scolaire. Bien sûr les motifs d’ordre personnel ou les raisons reliées au marché du travail sont présents, mais c’est majoritairement dans leur passé scolaire que les jeunes situent le moment de rupture. De ce point de vue le décrochage scolaire constitue une représentation de l’institution qui, en creux, nous dit plusieurs choses de « ce que l’école fait aux individus » : un traitement plutôt uniforme qui laisse peu de place aux singularités, mais aussi une machine à trier et orienter en fonction de critères qui échappent largement aux personnes concernées, et qui peine à s’adapter à la diversité des parcours ». Ils poursuivent : « Au-delà de l’insatisfaction partagée, deux dimensions séparent les expériences scolaires des décrocheurs. La première renvoie à l’environnement normatif de l’institution scolaire. Si certains s’accommodent fort bien des règles scolaires, d’autres s’y opposent ouvertement et ont un « casier scolaire » déjà bien fourni au moment de leur sortie du système éducatif. La seconde dimension discriminante se situe dans la dimension socialisatrice de l’école. Si pour beaucoup de jeunes en décrochage, les relations sociales avec les autres se sont bien déroulées, pour d’autres cela a été une source de profond malaise. C’est le cumul des difficultés avec les règles et les pairs qui constitue le « noyau dur » du décrochage scolaire, contre lequel la mission des politiques de prévention se révèle particulièrement ardue»
La dernière conclusion des auteurs interpelle fortement l’éducation nationale et ses partenaires. « L’enquête révèle la médiocre qualité des outils d’accompagnement des jeunes en décrochage scolaire. Plus de 40 % des jeunes interrogés à partir du fichier déclaraient n’avoir jamais décroché, et plus de 60 % des jeunes de la liste n’avaient pas été contactés par les professionnels. Il est nécessaire de s’interroger sur la portée d’un outil standardisé au niveau national, mais qui semble ne pas répondre véritablement aux besoins des personnels en charge de l’appui et de l’accompagnement des jeunes en rupture scolaire. Par ailleurs, un tiers des jeunes interrogés affirme soit n’avoir rencontré aucun professionnel après leur décrochage scolaire, soit ne s’être vu proposer aucune solution quand ils en ont rencontré. Il y a là un « non-recours » problématique au regard des besoins de cette population».
On se gardera de conclure rapidement que cette étude fournit les clés de compréhension de la difficulté que nous avons à réduire drastiquement le décrochage. Toutes les clés sans doute pas, mais quelques-unes, certainement. A méditer après l’appel à la mobilisation contre le décrochage lancé hier par la ministre[5].
[1] Les motifs de décrochage par les élèves, un révélateur de leur expérience scolaire, Pierre-Yves Bernard et Christophe Michaut, Université de Nantes, Centre de Recherches en éducation de Nantes (EA 2661) Education et formations, N° 90, AVRIL 2016
http://cache.media.education.gouv.fr/file/revue_90/54/2/depp-2016-EF-90_562542.pdf
[2] Berktold J., Geis S., Kaufman P., 1998, Subsequent Educational Attainment of High School Dropouts, Washington DC, US Department of Education, National Center for Education Statistics.
[3] George-Ezzelle C., Zhang W., Douglas K., 2006, "Dropouts Immediately Pursuing a GED Credential: their Institutions’ Characteristics, Self-Reported Reasons for Dropping Out, and Presence of High-Stakes Exit Exams", article présenté lors de la conférence annuelle de l'American Educational Research Association (AERA) du 7 au 11 avril 2006, San Francisco.
[4] Bernard P.-Y., Michaut C., 2014, « Marre de l’école. Une analyse des motifs de décrochage scolaire », Notes du CREN, n° 17, CREN.
[5] http://www.education.gouv.fr/cid108972/tous-mobilises-pour-vaincre-le-decrochage-scolaire-seminaire-decrochage-territoire-et-actions-publiques.html