Une enquête menée dans l’académie d’Orléans-Tours sous la direction de Pascal Huguet[1], directeur de recherches en sciences cognitives au CNRS, relance une des versions de la querelle des Anciens et des Modernes dont notre pays a le secret.
Cette enquête a concerné 2600 élèves de 3e, répartis en deux groupes de composition sociale équivalente, 1500 engagés dans un enseignement par compétences dans trois disciplines (français, histoire et géographie, mathématiques), 1100 d’un groupe témoin suivant un enseignement évalué par des notes.
Les principaux résultats de l’enquête font apparaître
- un niveau global supérieur de points pour les élèves du premier groupe par rapport à ceux du deuxième en mathématiques ;
- un écart de 3 points dans le premier groupe au lieu de 6 dans le second, entre le niveau moyen des élèves favorisés socialement et celui des élèves défavorisés socialement ;
- l’absence d’effet notable de l’évaluation par compétences en français et en histoire et géographie.
Selon Pascal Huguet, « on observe que les résultats positifs de l'évaluation par compétences ne se retrouvent que là où les professeurs des trois disciplines ont été d'accord pour participer à l'expérimentation. Quand certains professeurs sont contre et critiquent le protocole, il n'y a pas d'effet. Cela veut dire que les élèves sont sensibles au consensus dans l'établissement ». "Le protocole améliore le climat de la classe", poursuit P Huguet. "Il n'y a pas l'effet décourageant de la mauvaise note. Surtout l'évaluation par compétences permet de donner un meilleur feedback aux élèves sur leur niveau qu'une note. Les élèves savent où ils en sont beaucoup plus précisément. »
Ces données encore très parcellaires corroborent des observations déjà faites sur l’importance du climat solaire dans les résultats des élèves. On put en effet se demande si c’est le protocole d’évaluation par compétences qui améliore le climat de la classe, comme le pense Pascal Huguet, ou si, tout simplement, comme il l’observe lui-même, « les élèves sont sensibles au consensus dans l’établissement ». Que ce consensus porte sur l’évaluation par compétences plutôt que sur l’évaluation par la notation, n’est pas indifférent : le consensus dans le premier cas est activement construit par des professeurs engagés à refonder leur mode d’évaluation, quand le second est tout simplement implicite, passivement hérité de la forme scolaire traditionnelle.
Comme le rappelle le rapport remis en 2012 au comité scientifique de la DGESCO[2], « le lien très fort entre «climat scolaire», qualité des apprentissages, réussite scolaire et victimation à l’école est largement établi par la recherche ». En particulier, une étude menée en 2009 en Israël[3] a montré que « le bon climat scolaire augmente les résultats scolaires, indépendamment des facteurs socio-économiques initiaux. Il a une influence significative sur les capacités d’apprendre et d’augmenter les compétences scolaires». Parmi les facteurs favorables, cette étude note que les facteurs « relations –professeurs-élèves » « ont joué de manière significative sur la baisse des résultats obtenus par les élèves de 13-14 ans aux tests de mathématiques et de langues ».
Concernant le rôle des modes d’évaluation sur le climat scolaire, les auteurs du rapport observent : «Le sentiment de justice solaire, dont on a vu plus haut l’importance, est également dépendant de la manière dont procède l’évaluation à l’école, et la synthèse québécoise réalisée par Janosz et son équipe (Janosz et alii, 1998 par exemple[4]) montrent que le consensus est pour une évaluation encourageante, plutôt qu’au cumul de stress que des évaluations uniquement normatives et souvent mal préparées et mal coordonnées induisent. On rappellera qu’environ 30% des élèves se sentent en situation d’injustice dans le système scolaire français (Duru-Bellat et Meuret, 2009[5]), sentiment qui est un facteur de décrochage majeur.»
Ainsi, on le voit, les résultats observés dans l’étude menée à Orléans-Tours tiennent pour une part à l’effet sans doute encourageant de l’évaluation par compétences, mais probablement aussi au fait que les évaluations normatives ne sont pas nécessairement mal préparées, mal coordonnées et génératrices de stress. Et cela pourrait expliquer la neutralisation apparente de l’effet modalité d’évaluation dans deux disciplines sur trois. D’autre part, on doit rester mesuré par rapport à une approche sectorielle, unifactorielle de la réussite des élèves et de la réduction des inégalités scolaires. Tous les travaux conduits sur le climat scolaire aboutissent à conforter une approche multifacnjtorielle. Dans cette approche, la coopération entre enseignants, entre direction et personnels, entre élèves, entre enseignants, élèves et parents joue un rôle très important, comme le développement personnel des élèves, et le développement professionnel et personnel des enseignants, la qualité du temps et des espaces scolaires...
[1] Faute à l’heure actuelle de publication, on s’en remet donc à l’entretien accordé au Café pédagogique : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/03/09032016Article635931027011308054.aspx
[2] Debarbieux, E., Anton, N. , Astor, R.A., Benbenishty, R., Bisson-Vaivre, C., Cohen, J., Giordan, A., Hugonnier, B., Neulat, N., OrtegaRuiz, R., Saltet, J., Veltcheff, C., Vrand, R. (2012). Le «Climat scolaire» : définition, effets et conditions d’amélioration. Rapport au Comité scientifique de la Direction de l’enseignement scolaire, Ministère de l’éducation nationale.
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/climat-scolaire2012.pdf
[3] Astor, R.A., Benbenishty, R., & Estrada, J.N. (2009). School violence and theoretically atypical schools: The principal’s centrality in orchestrating safe schools. American Educational Research Journal. 46(2), 423-461.
[4] Janosz, M., Georges, P., Parent, S. (1998). L’environnement socio-éducatif à l’école secondaire: un modèle théorique pour guider l’évaluation du milieu. Revue canadienne de psycho-éducation, vol. 27, n°2, 1998 pp. 285-306
[5] Duru-Bellat, M., Meuret, D. (2010). Les sentiments de justice à et sur l'école. Bruxelles : De Boeck.