On a beaucoup parlé ici et ailleurs de la récente réforme du collège, considéré comme « unique » depuis la mise en œuvre de la réforme Haby[1].
Pourtant, nous le savons, les collèges sont loin d’être semblables. Certains sont plus « attractifs » que d’autre, certains sont victimes d’un phénomène important d’évitement. D’autres sont considérés comme "moyens", parce qu’ils ne sont pas très majoritairement ou très minoritairement marqués par un public d’origine populaire. Ceux où la mixité sociale serait la plus forte seraient donc « moyens ».
S’en tenir à cette approche exclusivement fondée sur la composition sociale de l’effectif des collèges laisse dans l’ombre une dimension complémentaire de cette hétérogénéité des collèges. Elle ne tient pas seulement à leur population, mais à leur offre d’enseignement.
Sous des dehors uniformes (il y a bien des programmes de cycle 3 et 4 et des horaires d’enseignement valables pour tous), les collèges disposent de la possibilité d’offrir à leurs élèves et aux parents qui les y inscrivent des enseignements optionnels, enrichissant des parcours artistiques, culturels, linguistiques, sportifs, citoyens des élèves.
Dans un article publié en 2013 par la revue Socio-logos[2], François Baluteau a analysé les collèges du point de vue de ce qu’il appelle leur curriculum optionnel, en lien avec la composition sociale de leur population scolaire. Il n’est sans doute pas inutile d’y revenir pour éclairer la question du « collège unique » qui pourrait constituer un élément du débat politique français en matière éducative.
Quelles sont les lignes de force de cette étude ?
Si on la résume à gros traits, elle met en lumière des dispositifs à caractère d’excellence dont l’accès repose sur une sélection des élèves (sections sportives, linguistiques…) ou une offre facultative (langues anciennes, langues rares), des dispositifs à visée de pré-orientation (SEGPA, découverte professionnelle 6 heures…), et des dispositifs d’inclusion, d’intégration et de socialisation (ULIS, dispositifs relais…).
La présence ou l’absence de ces dispositifs est corrélée aux caractéristiques sociales de la population scolaire et aux politiques des responsables éducatifs (cadres académiques et chefs d’établissement acteurs de l’implantation de ces dispositifs).
François Baluteau note ainsi que, dans les collèges à population socialement et culturellement favorisée, le curriculum optionnel est marqué par « des dispositifs d’excellence entre concurrence et politique « égalitaire » : « les collèges « favorisés » proposent plus que les autres types de collèges des dispositifs « artistiques » et « culturels » (musique, danse, théâtre, cinéma, architecture...), quand les collèges « défavorisés » ont recours prioritairement aux « sections sportives » (91,6 %). Les parcours sportifs se présentent plutôt comme une spécialité des établissements à population « défavorisée ». En résumé, l'excellence n’est pas de même nature entre les types de collège ». L’implantation de l’enseignement des langues en offre un autre exemple. « Si plus de la moitié des collèges les plus « favorisés » (54,9 %) propose 3 langues, plus d'1/3 (32 %) en offre 4 et 1/10 au moins 5. En revanche, les collèges « défavorisés » réduisent leur offre à 3 langues vivantes pour les 2/3 (66,5 %) et à 4 pour 22,5 % d'entre eux. Les collèges « moyens » occupent une place plutôt intermédiaire». De plus, « le chinois et le russe sont moins rares dans les établissements « favorisés » et le portugais ou l’arabe sont plus fréquents dans les collèges « défavorisés » ». De même, « les établissements les plus « favorisés » proposent plus souvent (53,4 %) 2 langues anciennes (latin et grec ancien), alors que les plus « défavorisés » limitent souvent leur offre au latin (74,4 %)». Enfin, « les établissements très« défavorisés » se caractérisent par une faible activité vers l’étranger, situation qui tient pour beaucoup au problème de financement par les familles (…) quand les collèges plus « favorisés » font état d’une activité forte vers l’étranger avec au minimum 10 classes concernées chaque année scolaire ».
Les collèges à population scolaire très majoritairement populaire se caractérisent par la forte implantation les dispositifs à visée pré-professionnelle : « Alors que les collèges les plus « favorisés » accueillent rarement ces dispositifs professionnels (4 %), les collèges les plus « défavorisés » les proposent pour la moitié d'entre eux (47,3 %) ». De même, selon François Baluteau, les dispositifs d’intégration sont socialement « situés ».
L’auteur donne à percevoir la part prise par les acteurs et les politiques éducatives (notamment la politique d’éducation prioritaire) pour combattre l’évitement des établissements populaires en y implantant des dispositifs d’excellence. On sait ainsi que l’implantation d’une classe à horaire aménagé musique en lien avec le conservatoire va améliorer la mixité sociale dans les statistiques de la population scolaire d’un collège de quartier populaire. Mais on sait aussi que cette apparente mixité peut ne pas se retrouver dans les classes, les classes à horaire aménagé concentrant les élèves d’origine non populaire, ceux d’origine populaire étant scolarisés dans les classes dites ordinaires. Un collège à mixité sociale apparente peut en cacher deux, beaucoup plus homogènes l’un et l’autre socialement et culturellement.
Ces constats sont éclairants. On pourrait y ajouter le fait que les enseignements de tronc commun, offerts dans tous les collèges à tous les collégiens de manière parfaitement équitable en apparence le sont moins dans les faits. Les temps consacrés au maintien de l’ordre et de l’attention dans la classe sont par exemple différents selon les établissements, se traduisant par une perte de temps d’enseignement pour les élèves des établissements où « faire cours » ne va pas de soi.
La conclusion de François Baluteau est nette : « la diversification du curriculum optionnel n'est pas aléatoire, elle s'organise selon la population scolaire présente dans l'établissement. Le collège se construit entre deux types, identifiables par la nature du curriculum et du public. Le collège « favorisé » se caractérise par une offre ouverte sur les langues, les arts et la culture, mais plutôt fermée sur les enseignements professionnels et la prise en charge des publics en difficulté. Le collège « défavorisé » tend au contraire vers une offre plus diversifiée, avec une excellence linguistique et sportive, des parcours professionnels et l’intégration des publics différenciés. Entre ces deux figures, le collège socialement « moyen » occupe globalement une position intermédiaire. Au final, à une différenciation sociale des collèges s’associe une différenciation de l’enseignement ». L’auteur exclut tout déterminisme : « Atténuer le phénomène de ségrégation sociale entre les collèges pourrait être recherché, sans viser pour autant l’homogénéité, par un rééquilibre plus systématique de l’offre d’enseignement. C'est probablement un enjeu fort dans un processus institutionnel de diversification qui verrait le curriculum optionnel s'élargir».
Si le collège unique ne doit pas être uniforme, les responsables politiques et les acteurs éducatifs ne peuvent s’accommoder d’une inégalité scolaire renforcée par la différenciation des curriculums selon les collèges. Selon l’OCDE[3], la France a accompli depuis 2012 quelques pas dans la bonne direction, mais l’effort doit être poursuivi et approfondi.
[1] Du nom du ministre René Haby, promoteur de la loi du 11 juillet 1975 relative à l’éducation, dite loi Haby https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000334174
Son article 4 stipule que « Tous les enfants reçoivent dans les collèges une formation secondaire (….) Les collèges dispensent un enseignement commun, réparti sur quatre niveaux successifs ».
[2] François Baluteau, « Curriculum optionnel et composition sociale. Le cas des collèges », Socio-logos [En ligne], 8 | 2013, mis en ligne le 05 avril 2013, consulté le 13 décembre 2016.
URL : http://socio-logos.revues.org/2748
[3] OCDE (2015), Perspectives des politiques de l’éducation 2015 : Les réformes en marche, Éditions OCDE.
http://dx.doi.org/10.1787/9789264227330-fr
« La performance du système éducatif français pourrait être améliorée en réduisant les inégalités entre élèves issus de milieux socio-économiques différents. »