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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 16 décembre 2021

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Le paradoxe révélateur des enseignants absents

Tout le monde se désole des absences d’enseignants, sauf les élèves réunis devant le tableau ou l’écran qui annonce les professeurs absents du jour. L’occasion de réfléchir un peu plus profondément sur le sens pour les élèves de la « continuité pédagogique ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les absences des enseignants sont un des sujets récurrents dans le débat public sur l’éducation. Non pas que cette profession soit plus absente qu’une autre – il est donc parfaitement malhonnête de parler d’"absentéisme  enseignant"-, mais parce que ces absences sont, pour le public, une préoccupation partagée. Comme le rappelait la journaliste Marie Dupin le 20 novembre dernier à la BnF[1], ce dont parlent les auditeurs de sa radio comme difficulté à l'école, ce sont les professeurs non remplacés. Et la Cour des Comptes elle-même a publié en ce mois de décembre un rapport public thématique intitulé La gestion des absences des enseignants, garantir la continuité pédagogique[2].

D’un côté donc, celui des institutions et du public, les absences des enseignants sont un problème majeur, un dysfonctionnement du service public d’éducation. Les exemples ne manquent pas de non remplacement durable d’un professeur, qui peut mettre en péril les acquis d’une année scolaire dans sa discipline. Mais il y a aussi les absences de courte durée, imputables assez souvent à une journée de formation ou à d’autres obligations professionnelles. Comme l’observe la Cour des Comptes, « les familles se contentaient, jusqu’à présent, de manifester leur désapprobation lors des rentrées scolaires ou par l’intermédiaire des fédérations de parents d’élèves, elles n’hésitent plus à engager la responsabilité de l’État devant les tribunaux pour défaut de continuité du service public de l’Éducation ».

D’un autre côté, il faut observer, en début de matinée, la façon dont les élèves s’agglutinent devant l’écran électronique ou le tableau où sont notés les noms des professeurs absents ce jour du collège ou du lycée. Les élèves privés de la présence d’un professeur saluent plutôt joyeusement cette information et manifestent bruyamment leur satisfaction.

Pourquoi cet écart paradoxal dans la perception de l’absence ponctuelle d’un enseignant entre les élèves et leurs parents ? Ce serait une fausse piste, trop commode, d’avancer que parmi les élèves ce sont les « mauvais élèves » et eux seuls qui se réjouissent. Le collectif des élèves de ce professeur absent n’exulte pas non plus parce que cet enseignant n’aurait pas une bonne relation avec ses classes. Indépendamment des résultats scolaires des élèves et de la qualité de la relation entretenue entre ces élèves et leur enseignant, ce qui explique ces manifestations régulières de satisfaction, c’est que cette absence est perçue comme une respiration dans une journée scolaire lourde où les cours succèdent aux cours sans que cette succession fasse vraiment sens pour bien des élèves. Ce que les élèves signalent spontanément, c’est que les journées de cours sont trop longues, trop morcelées entre enseignements différents, pour qu’un trou imprévu dans l’emploi du temps de la journée soit perçu autrement que comme une trêve, au cours de laquelle la pression va retomber.

Quel adulte accepterait de passer six à huit heures d’affilée à être assis, dans des salles différentes, la plupart du temps organisées en autobus, avec une trentaine d’autres personnes, face à un professeur et un tableau qui changent toutes les heures pour passer en une matinée des mathématiques à l’anglais, puis aux sciences de la vie et de la terre ou aux sciences physiques ?

La bonne surprise que constitue pour les élèves l’absence ponctuelle d’un professeur est révélatrice d’une question de fond qui, elle, n’est jamais un sujet, ni pour la Cour des comptes, ni pour les auditeurs d’une radio, ni pour un ministre de l’éducation nationale. Cette question est  double. C’est celle de l’organisation des espaces et des temps scolaires d’une part. Mais c’est aussi celle de ce qu’on apprend à l’Ecole, et comment on l’apprend. En effet, le sujet absent dans le débat public sur l’école, c’est justement l’élève, et, à travers lui, le jeune à qui son métier d’élève impose des journées indigestes d’enseignements juxtaposés de la même manière chaque jour de chaque semaine pendant toute une année scolaire. Et si on commençait par là ? Partir de l’expérience de l’élève, du parcours qu’il doit suivre au collège puis lycée pour mieux comprendre où s’enracinent l’échec scolaire et la mise à l’écart progressive de certains, dont on ne peut se satisfaire. Questionner le sens que peuvent avoir des savoirs scolaires ainsi juxtaposés au fil des jours, des semaines, des années scolaires. C’est ce que propose le Collectif d’interpellation du curriculum[3].  La question essentielle, ne serait-ce pas celle du sens que les savoirs scolaires doivent avoir pour les élèves et pour tous les citoyens ? Il y a là une question plus fondamentale encore que celle des absences des professeurs et de la continuité des enseignements : celle de l’absence de sens de cette continuité même pour bien des élèves, y compris pour ceux qui, dans la compétition scolaire, tirent leur épingle du jeu.

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[1] https://www.youtube.com/watch?v=llZDLZBh9uk&feature=youtu.be

[2] https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/282707.pdf

[3] https://curriculum.hypotheses.org/1056

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