Le 13 janvier, dans son émission A l’air libre, Médiapart a réuni, sous le titre Ecoles : la gauche a-t-elle encore des idées ? les représentant.e.s de quatre candidats (Hidalgo, Jadot, Mélenchon et Roussel) pour débattre d’éducation[1].
Les intervenant.e.s n’ont eu aucun mal à critiquer la politique « brutale », « irresponsable », « méprisante » du ministre du quinquennat actuel (crise sanitaire, traitement des personnels, ParcourSup, inégalités scolaires), voire parfois, pour certains d’entre eux, des quinquennats précédents.
Quant à leurs propositions, elles tournent autour d’un axe essentiel : lutter par divers moyens contre une école du tri social, de l’école maternelle à l’enseignement supérieur.
Les porte paroles des candidat.e.s et s’accordent sur la nécessaire amélioration du traitement des personnels en termes d’emploi, de salaire, de formation, sur le besoin d’ouvrir plus de places dans l’enseignement supérieur en recrutant davantage d’enseignants-chercheurs. Selon les un.e.s ou les autres, l’accent devra être mis sur l’allongement du temps scolaire pour tous et non pour quelques uns qui en ont les moyens (Roussel), sur l’alliance éducative nécessaire entre une école de la coopération et d’autres éducateurs (Jadot), sur l’inégalité de l’offre éducative selon les territoires (Mélenchon), sur l’inacceptable écart de 1 à 17 entre les sommes affectées à l’accompagnement scolaire des collégiens et celui des élèves de CPGE (Hidalgo).
L’un des intervenants (représentant M. Jadot) évoque la question d’une bataille culturelle à mener pour élargir la base sociale de la réussite scolaire, ce qui suppose, outre des moyens supplémentaires, de repenser, dit-il, « le système pédagogique », en développant les imaginaires de tous les élèves et en sortant de l’obsession de la notation permanente.
Alors, tout a-t-il été dit au cours de cette émission ? Eh bien non. La question des savoirs scolaires n’a jamais été évoquée. Le consensus le plus fort est sans doute celui-ci, et il dépasse largement les frontières de la gauche : les savoirs scolaires sont là, dessinés et sélectionnés une fois pour toutes. ll y a des savoirs qu’on enseigne et d’autres qu’on n’enseigne pas, il y a des savoirs référés à des disciplines scolaires au sein desquelles sont faits encore des choix et sélections de savoirs enseignés par rapport à d’autres qu’on n’enseigne pas. Il y en a d’autres confinés dans des « éducations à » dont les heures d’enseignement ne sont pas prescrites et difficiles à trouver (éducation aux médias et à l’information, au développement durable, etc.). Certains élèves sont assignés à ne pas accéder à certains savoirs (comme les lycéens professionnels interdits d’enseignement de la philosophie). Qu’en un mot l’école française fasse, par les savoirs qu’elle enseigne et qu’elle n’enseigne pas[2], par les hiérarchies qu'elle établit entre eux, et par les choix de ce qu’elle enseigne aux uns mais pas aux autres, le lit des inégalités scolaires et de la ségrégation sociale et culturelle de ses élèves, cela, ni les un.es ni les autres ne l’ont évoqué.
S’il y a bien un domaine où l’on pourrait attendre de responsables progressistes une approche critique de l’existant, c’est bien celui de la politique des savoirs installée depuis des décennies. Par leur silence sur cette question, les représentant.e.s des candidats de gauche et des écologistes se limitent, comme d’autres, à revendiquer l’effacement des dernières réformes, la résurrection d’anciens dispositifs, comme s’il suffisait de revenir au statu quo ante et d’injecter plus de crédits dans l’éducation nationale pour rompre avec l’école des inégalités. C’est une illusion : l’école des inégalités, c’est aussi l’école de l’inégalité des savoirs, et cela mérite un débat national prioritaire. Comme tous les autres candidats, les candidat.e.s Hidalgo, Jadot, Mélenchon, Roussel sont pour le moment passés à côté de cette question de fond.
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[1] https://www.mediapart.fr/journal/france/130122/ecoles-la-gauche-t-elle-encore-des-idees
[2] Voir, par exemple, sur le site du CICUR, Curriculum et disciplines absentes https://curriculum.hypotheses.org/155