Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

806 Billets

1 Éditions

Billet de blog 17 mars 2022

Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

Éducation et débat politique : un besoin urgent de renouveau

Le débat éducatif va-t-il une nouvelle fois, à l’occasion des prochaines élections, esquiver la question fondamentale de la politique des savoirs à l’Ecole ? Trois publications récentes nous alertent à ce sujet.

Jean-Pierre Veran (avatar)

Jean-Pierre Veran

formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Trois publications récentes posent en termes nouveaux la question politique de l’Ecole.

Dans une Lettre ouverte aux candidats aux élections de 2022[1], le Collectif d’interpellation du curriculum (CICUR) insiste pour sortir des impasses et des pièges des faux débats afin de s’attaquer à une école aux savoirs socialement sélectifs et promouvoir une politique des savoirs garante d’une scolarité émancipatrice pour tous.

Dans une tribune publiée le 8 mars par Le Monde, Roger-François Gauthier pose la question Faut-il laisser les programmes scolaires aux mains des politiciens ?[2] et y répond.

Et, une semaine plus tard, le même quotidien publie la tribune d’un collectif d’universitaires, intitulée : « Les programmes sur l’éducation des candidats à la présidentielle demeurent des outils de communication et des catalogues de promesses[3] ».

Commençons par le diagnostic posé le 15 mars par ces sept universitaires, membres du CICUR. Si chaque candidate ou candidat propose un volet éducatif dans son programme, d’orientation différente selon son positionnement politique, ces propositions ont toutes en commun «d’exposer leurs intentions en évitant ou en contournant des questions pourtant essentielles en matière d’apprentissages » : « alors que chacun énonce des changements importants qui suggèrent que l’école connaît de graves difficultés, la nature de celles-ci n’est pas explicitée ou se voit réduite à une seule dimension, brièvement rappelée ». Si, à droite, c’est le vocabulaire de la restauration qui domine, à gauche les candidates et candidats «  laissent penser que les inégalités sociales de réussite ne sont que la reproduction des inégalités de la société, sans qu’elles puissent être aussi le produit de pratiques internes à la classe et aux établissements ». Les auteurs de la tribune concluent : « Pour être crédibles, ces projets auraient besoin d’être fondés, d’une part, sur une analyse claire et argumentée des problèmes que chaque candidat identifie, d’autre part sur un énoncé des transformations structurelles que leur mise en œuvre suppose, notamment en termes d’organisation des savoirs et de leur transmission, et enfin que ces transformations soient présentées dans leur relation avec ce que l’on peut connaître et comprendre des attentes des jeunes et de leurs familles ». 

Cette analyse apporte de l’eau au moulin de Roger-François Gauthier quand il s’interroge sur la légitimité de la mainmise des politiciens sur les programmes scolaires. Nourrie de son expérience d’expert international de l’éducation, cette tribune s’appuie notamment sur la manière dont les démocratures, sur notre continent comme ailleurs, peuvent peser sur les programmes scolaires. « Les vieux couplets du nationalisme, du révisionnisme et des lectures de l’histoire, y compris littéraire selon l’extrême droite, sont à nouveau entonnés ». Et, venus de Russie, de Pologne ou de Hongrie, les exemples de censure dans les savoirs ne manquent pas : combattre l’homophobie est proscrit, comme accorder trop de place au génocide des juifs pendant la seconde guerre mondiale, tandis qu’au Brésil le pouvoir voudrait extirper tout ce qui renvoie à la pédagogie émancipatrice de Paulo Freire et qu’aux Etats-Unis, le créationnisme a droit de cité comme vérité alternative par rapport à l’évolutionnisme, considéré comme en conflit avec les valeurs de la société en Turquie . Pour l’auteur, nous ne pouvons pas considérer que cela relève de la souveraineté des Etats. Et la France n’est en rien protégée contre de telles dérives quand, à l’occasion du débat présidentiel, ressurgit « le roman national » ou « l’enseignement des fondamentaux » pour la masse opposé à un accès à la culture pour l’élite ? « Ne faudrait-il pas, interroge-t-il,  que la valeur de ce qui s’enseigne à l’école dans une démocratie digne de ce nom ne soit pas de la compétence de l’exécutif, mais soit garanti au niveau législatif, voire constitutionnel, à partir de principes aujourd’hui informulés ? Et encore mieux travaillée au niveau international : classer des pays sur le rapport à la raison et à l’universel de leurs programmes scolaires ne vaudrait-il pas autant que de le faire sur les compétences de leurs élèves à 15 ans ? »

Cette préoccupation parcourt la lettre ouverte adressée par le CICUR aux candidates et candidats aux élections de 2022. Il serait vraiment dommage que le débat politique sur l’Ecole tourne autour de fausses questions, plutôt que de poser les essentielles.  Face à de nouveaux défis, culturels, climatiques, éthiques, scientifiques, face aux mutations  provoquées par la massification de l’éducation, la flexibilité et l’ubérisation du travail aggravant la pauvreté,  nous ne pouvons pas nous contenter de restaurer l’ordre scolaire ancien ou de laisser l’école continuer d’être une machine à trier et ranger chacune et chacun dans sa case. Les inégalités scolaires ne sont pas que le produit des inégalités sociales. L’école a sa part de responsabilité dans la distribution inégalitaire des savoirs qu’elle organise.

La question esquivée est la suivante : à quelle société voulons-nous que l’école prépare ? Et, à partir de là, quels sont les savoirs indispensables aux futurs citoyens membres actifs de cette société ? Si c’est la société de la compétition et de la concurrence que nous voulons, en effet, il n’y a rien à changer fondamentalement à l’école actuelle. Si c’est une société de coopération, profondément démocratique que nous voulons, dans laquelle les privilèges ou handicaps de naissance ne pèsent pas sur le destin de chacune et chacun de ses enfants, alors, il nous faut repenser notre politique des savoirs. Les seuls savoirs académiques, confisqués aujourd’hui par des disciplines scolaires déjà là qui défendent leur place au détriment d’autres possibles ne suffisent pas à composer la culture dont nos enfants ont besoin. Les savoirs du monde, de l’expérience, ont aussi toute leur place dans une tout autre école que l’école actuelle.

Et cette question ne doit pas être tranchée dans au sein d’un cabinet ministériel ni au sein d’une assemblée d’experts. C’est aux citoyens dans leur ensemble de donner leur avis sur une question qui engage aussi fortement notre avenir commun. D’où la proposition faite par le CICUR aux candidates et candidats à l’élection présidentielle de s’engager

  • « à créer les conditions pour penser et mettre en œuvre le contenu d’une scolarité émancipatrice sur le temps d’une scolarité complète,
  • à ouvrir, dans les 100 jours suivant l’élection, une grande consultation démocratique sur ce que l’École doit enseigner aux élèves pour les préparer aux défis du 21siècle ».

A en juger par l’analyse du collectif d’universitaires sur les programmes électoraux, nous sommes encore loin du compte. Alors, c’est sans doute aux citoyens de peser, en toute occasion, pour qu’enfin le débat éducatif fasse honneur à notre démocratie et à notre République.

_____________________________________________________

[1] https://curriculum.hypotheses.org/1396

[2] https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/03/08/faut-il-laisser-les-programmes-scolaires-aux-mains-des-politiciens_6116554_3224.html

[3] https://www.lemonde.fr/education/article/2022/03/15/les-programmes-sur-l-education-des-candidats-a-la-presidentielle-demeurent-des-outils-de-communication-et-des-catalogues-de-promesses_6117539_1473685.html

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.