A la lecture de la circulaire n° 2016-132 du 9-9-2016, parue au Bulletin officiel du 15 septembre et intitulée Pour un acte II de la vie lycéenne, on peut légitimement se poser la question choisie pour teinter d'humour le titre de ce billet.
En effet, l’acte II de la vie lycéenne a été lancé il y a plus de trois ans déjà en 2013. C’est le 13 mai de cette année-là que la ministre déléguée à la réussite éducative Georges Pau-Langevin en appelait à un acte II de la vie lycéenne. Elle demandait un rapport sur la vie lycéenne à la députée Anne-Lise Dufour Tonini, qui lui était présenté le 26 septembre de la même année[1].
Nous avions alors fait écho au sombre constat porté par l’auteure du rapport sur l’état de la vie lycéenne, qu’elle appelait à faire (re)vivre, constat partagé avec l’institution, comme le soulignait la circulaire du 29 juillet 2013 relative aux semaines de l’engagement lycéen[2]. Nous ne cachions pas notre scepticisme face à l’ambition affichée dans le rapport d’aller « vers une nouvelle démocratie » dans notre billet du 6 octobre 2013, intitulé : « Démocratie lycéenne : y aller vraiment ?[3] »
Trois ans plus tard, donc, une nouvelle circulaire tente de relancer l’acte II. C’est à coup sûr le signe d’une continuité du discours politique, malgré les changements de ministres, mais également le signe que le discours de 2013 n’a pas transformé la réalité décrite dans le rapport de la députée comme dans la note d’étape d’avril 2014 rédigée par l’inspection générale surles dispositifs destinés à favoriser la vie lycéenne et la mise en place de l’acte II de la vie lycéenne : les semaines de l’engagement lycéen[4]. La synthèse de cette note dressait « un constat globalement négatif » caractérisé par « le niveau d’engagement inégal des divers acteurs », « une application insatisfaisante des textes », « l’importance sous-estimée de la communication », concluant très nettement : « Ces semaines, en effet, ne peuvent se contenter d’une promotion de la démocratie lycéenne par le discours et la déclaration d’intention. Elles doivent, d’une part, valoriser la parole des lycéens engagés et, d’autre part, donner de la visibilité aux projets lycéens, dont l’éventail est vaste et qui donnent chair à l’initiative et à l’engagement ».
La circulaire de septembre 2016 est-elle autre chose qu’une nouvelle « promotion par le discours et la déclaration d’intention » ?
Rappelant que « la première circulaire sur la vie lycéenne a été publiée en 1991 », elle note que « le cadre réglementaire existant (…) est suffisant », et que, par conséquent, « la présente circulaire vise à détailler une série de mesures destinées à favoriser le développement effectif de la vie lycéenne sur le terrain, en s'appuyant sur la mobilisation des chefs d'établissement et des élèves ».
On ne peut que s’en féliciter, mais on peut aussi douter de son impact sur la réalité des établissements, quand elle indique, après la rentrée scolaire, que, pour « encourager et valoriser l’engagement des élèves », « il est recommandé de dégager un créneau horaire hebdomadaire de deux heures au moment de l'élaboration des emplois du temps. Bien que cette mesure soit difficile à mettre en œuvre dans certains établissements, les retours d'expériences indiquent que cette disposition dynamise de façon tangible l'implication des élèves, et ce d'autant plus qu'elle s'accompagne d'une mobilisation des enseignants et de l'équipe de vie scolaire sur ce même créneau horaire ». En effet, les emplois du temps pour l’année scolaire en cours sont déjà établis, ceux de l’année suivante seront fonction des orientations données par un nouveau ministre membre d’un gouvernement composé après une élection présidentielle et des élections législatives.
A lire cette circulaire, on a le sentiment que l’ensemble de ses recommandations dessine en creux tous les obstacles rencontrés au quotidien dans l’exercice d’une vie lycéenne effectivement reconnue : qu’il s’agisse de « ne pas entraver » l’engament des élèves de la voie professionnelle par les périodes de stage en entreprise, de « ne pas pénaliser » l’élève, de « ne pas reporter sur le bulletin scolaire » les absences en cours des élèves élus pour réunion, de « faciliter par tout moyen approprié» le rattrapage des cours, ou de «l'ouverture des lycées en dehors des heures d'enseignement » ou de l’ajout d’« une rubrique « engagement de l'élève » (…) au bulletin trimestriel pour mentionner l'implication de l'élève dans la vie de l'établissement, en complément de la rubrique dédiée au sein du livret scolaire, qui devra être renseignée avec soin », ou encore de « l'objectif de doter chaque établissement d'au moins un média lycéen (journal, radio, Web TV...)» fixé par la ministre en janvier 2015[5].
On pourrait en outre être tenté de rapprocher la parution de cette circulaire d’un mouvement lancé par les syndicats de personnels de direction : le SNPDEN appelle pour sa part à une manifestation le 21 septembre pour clamer "Assez !" à l'égard des "dysfonctionnements et dérapages incessants[6]", le syndicat ID-FO de son côté organise les « vendredis de la colère » « pour marquer notre refus d’être considérés comme de simples exécutants, nous cessons ce jour-là toute activité liée à l’exécution des injonctions contradictoires reçues [7]». Alors que depuis 1985, les établissements publics locaux d’enseignement sont reconnus autonomes notamment pour « l'organisation du temps scolaire et les modalités de la vie scolaire[8]», coup sur coup le décret n° 2016-1063 du 3 août 2016 relatif à l'organisation de la journée scolaire au collège pose dans son article 1 que « la pause méridienne des élèves ne peut être inférieure à une heure trente et, pour les élèves de sixième, la durée des enseignements qui leur sont dispensés ne peut dépasser six heures par jour[9] », et la circulaire du 9-9-2016 relative à la vie lycéenne «recommande de dégager un créneau horaire hebdomadaire de deux heures au moment de l'élaboration des emplois du temps ».
Il n’est pas sûr que cette circulaire permette d’approfondir la démocratie lycéenne. Il n’est en revanche pas exclu que, pavée des meilleures intentions éducatives, elle n’accroisse le ressentiment des personnels de direction en confirmant à leurs yeux que la «Centrale » prétend transformer leur travail d’encadrement en travail d’exécution de recommandations.
[1] http://www.education.gouv.fr/cid74045/pour-un-acte-ii-de-la-vie-lyceenne.html
https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/020913/la-vie-lyceenne-une-cle-de-la-refondation
[3] https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/061013/vers-la-democratie-lyceenne-y-aller-vraiment
[4] http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/47/9/2014-010_Engagement_lyceen_335479.pdf
[5] http://www.education.gouv.fr/cid85644/onze-mesures-pour-un-grande-mobilisation-de-l-ecole-pour-les-valeurs-de-la-republique.html
[6] http://www.snpden.net/node/3678
[7] http://www.ietd.com/wp-content/uploads/2016/09/iDflash1617N06Lesvendredisdelacolere.pdf
[8] Décret n°85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement. - Article 2 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=882114B79759AAB600E8EB5CBFE8D0D3.tpdila09v_3?idArticle=LEGIARTI000006341830&cidTexte=LEGITEXT000006065139&dateTexte=20090520
[9] https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2016/8/3/MENE1620733D/jo