Notre forme scolaire est très fortement structurée, voire cloisonnée, par le découpage disciplinaire des enseignements, renforcé par le découplage, dans le second degré, entre les enseignements d’une part, la vie scolaire d’autre part.
Cette organisation, qui a marqué l’histoire récente de notre enseignement scolaire, serait-elle susceptible d’évoluer autrement que de manière marginale, avec l’apparition dans l’emploi du temps des élèves de doses homéopathiques d’interdisciplinarité (TPE au lycée depuis le début des années 2000, parcours diversifiés, travaux croisés, itinéraires de découverte puis enseignements pratiques interdisciplinaires au collège) ?
Il est intéressant, comme toujours, d’aller voir ce qui se passe au delà de nos frontières.
Nous choisirons dans ce billet deux exemples. Celui d’un pays, la Finlande, réputé pour la qualité de son enseignement. Celui, international, du World Innovation Summit for Education (WISE), rendez-vous annuel de réflexion sur les problèmes de l'éducation qui se tient à Doha, au Qatar[1].
Quelles nouvelles de Finlande[2] ? Les curriculums de l’enseignement scolaire y ont été renouvelés à partir de 2016. L’objectif : répondre à des questions telles que « quel type d’avenir voulons-nous construire ? Qu’est-il important d’apprendre à l’école ? Quelle représentation avons-nous de l’apprentissage ? » Quatre clés du changement ont été retenues : le changement du monde (environnement, globalisation, technologies…), le changement du rôle des élèves (participation, coopération, exploration et apprentissages créatifs), changement du rôle des enseignants (coopération, conception de l’apprentissage…), changement des concepts d’apprentissage et de compétence (transversal , éthique, durable, interaction savoir-action…), l’école devenant une « communauté d’apprentissage ».
Les objectifs principaux des nouveaux curriculums sont donc de développer le rôle actif des élèves dans l’apprentissage, leur capacité à travailler ensemble, leurs compétences transversales au travers de modules multidisciplinaires, en faisant émerger une nouvelle culture scolaire. Chaque année, donc, les élèves participent à des modules multidisciplinaires d’apprentissage au sein desquels les enseignants coopèrent. Objectifs, contenus et modalités de travail sont définis à l’échelon local, et les élèves associés à leur planification. Il n’y a pas opposition mais conjonction entre acquisitions de compétences disciplinaires et de compétences transversales : par exemple, l’objectif, en mathématiques, de former les élèves à préparer et interpréter des tableaux et diagrammes, à utiliser des représentations statistiques, contribue à la multilittératie[3], fondement de la culture numérique.
A partir de là, les élèves de 16 ans et plus "doivent choisir eux-mêmes quel sujet ou quel phénomène ils veulent étudier, en gardant à l'esprit leurs ambitions pour l'avenir et leurs capacités"[4]. La forme scolaire est donc profondément transformée. Les cours disciplinaires font place à des travaux sur des objets d’étude multidisciplinaires : la seconde guerre mondiale, par exemple, étudiée du point de vue de l’histoire, de la géographie, des mathématiques et des arts. L’espace scolaire change aussi : la salle de classe avec bureau du maître et rangées de tables alignées pour les élèves, propice à l’enseignement magistral, se transforme pour permettre aux élèves de travailler ensemble en îlots afin d'avancer dans leurs explorations, acquisitions, productions. Les enseignants de différentes disciplines les accompagnent, encadrant leur travail, leur apportant les éclairages dont ils ont besoin.
Du côté du sommet mondial de l’éducation à présent, quelles perspectives pour 2030 ?
Il s’agit, cette fois, de passer de « l’école de briques et de ciment où les élèves reçoivent un enseignement théorique » à « un environnement social où ils sont accompagnés, apprennent à interagir avec leurs pairs (…) la salle de classe se transforme en salle de rencontres où se déroule un apprentissage coopératif qui prépare à la vie professionnelle ». Si 7% des experts interrogées pensent qu’en 2030 l’école reviendra aux valeurs traditionnelles de l’enseignement, 93% d’entre eux dessinent des changements importants. De l’infographie présentant les résultats, on retiendra par exemple que, comme source de connaissances, l’école de briques et de ciment arrive en seconde position après de contenus en ligne, suivie par l’environnement social et personnel, les institutions culturelles fermant la marche. Que les connaissances académiques seront au troisième rang, venant après les habiletés personnelles et les habiletés pratiques. Que les diplômes scolaires représenteront encore 39% des certifications, suivis par les certifications d’entreprises (37%) et la reconnaissance des pairs (24%). Que le rôle des enseignants consistera pour 73% à accompagner comme guide ou mentor, et seulement pour 19% à délivrer des connaissances, 8% étant consacrés à valider les travaux en ligne des élèves. Que la dépense éducative sera supportée à 43% par les parents, 30% par l’Etat, 27% par les entreprises.
Il ne s’agit pas de considérer qu’il y a là des prophéties inéluctables, ou un modèle unique d’avenir, mais de mesurer combien les évolutions économiques, sociales, technologiques, culturelles du monde pourraient transformer dans la quinzaine d’années qui vient l’école que nous connaissons encore. A l’heure française d’un débat présidentiel qui engage pour les cinq ans qui viennent, tenter de voir plus loin peut éclairer les enjeux éducatifs –parfois absents du débat- d’une élection présidentielle.
[1] Cinq organisations internationales liées à l'éducation sont partenaires de cette manifestation :
l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF),
l'Association of Commonwealth Universities (ACU),
l'Institute of International Education (IIE),
l'International Association of University Presidents (IAUP),
l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO).
[2] http://www.strat-up.com/Finlande/reforme-scolaire-finlande.pptx
[3] « La littératie, maintenant la multilittératie puisqu’elle se réfère à une définition polysémique de la littératie, c’est-à-dire qu’elle est appliquée dans la vie courante, en apprentissage, en emploi et dans de multiples facettes des compétences essentielles, est à ce jour devenue un concept internationalement reconnu par la recherche ». http://www.formationcontinue.clg.qc.ca/
Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la littératie est « l'aptitude à comprendre et à utiliser l'information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d'atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités ».
[4] Molès, Philippe, https://www.linkedin.com/pulse/la-finlande-est-le-premier-pays-à-supprimer-les-matières-molès?goback=.npv_AAkAAAB52O4BwLVYclTRG*4pQrcPLdoK*4Va90b7E_*1_*1_NAME*4SEARCH_Zcxo_*1_fr*4FR_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_*1_tyah_*1_*1&trk=prof-post