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formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université

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Billet de blog 18 janvier 2014

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Les voeux d’un Proviseur : « à ce pourvu, c’est à nous de pourvoir »

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Un Proviseur de mes amis a prononcé devant les personnels de l’établissement réunis en début d’année l’allocution qui suit.

Mesdames et Messieurs bonsoir, et merci d’avoir répondu à notre invitation.

Je voulais que nous soyons réunis un moment, en ce début d’année, non pas pour vous présenter mes vœux, mais pour partager des vœux avec vous.

Certains ne sont pas là, ce soir : ils n’ont pas le cœur à former des vœux parce qu’ils sont dans la peine, parce qu’ils sont inquiets pour eux ou pour un proche, parce qu’ils ont perdu un parent, un ami. Tout au long d’une année, nous traversons dans nos vies respectives beaucoup d’événements, parfois malheureux, cela a été le cas pour les uns ou les autres, dans notre établissement, et je voudrais dire à ceux d’entre vous, présents ou pas, qui vivent des épreuves douloureuses que je pense à eux comme nous y pensons tous.

D’autres ne sont pas là, peut-être, parce qu’il est parfois de bon ton, chez les esprits forts, de regarder avec hauteur cette tradition de vœux (ce serait hypocrisie sociale, ce serait parole convenue) ; quand d’autres esprits, sans doute de bon sens, se disent que les vœux ne servent à rien car on aura beau s’être souhaité tout le bonheur du monde, comme dit la chanson, on ne pourra pas empêcher que le malheur s’abatte sur notre tête. D’autres aussi, préfèrent ne rien souhaiter ni se souhaiter de peur que cela leur porte malheur…

Pour ma part, vous l’aurez compris, je crois à l’échange des vœux parce que c’est une attention que l’on porte à l’autre, un moment de son temps, de son cœur, de ses mots que l’on donne. On peut en faire une étape convenue de l’année, on peut aussi en faire un moment de vérité où l’on se redit l’essentiel, ce à quoi on croit et ce pour quoi on est prêt à s’engager.

Les vœux ce ne sont que des mots, oui, mais les mots, et surtout les mots que nous échangeons, c’est ce qui fait notre humanité. Quand on renonce à mettre les mots exacts sur les choses, quand on ne parle pas, quand on ne se parle plus, le risque c’est que l’on se frappe, c’est l’agression ; qu’on prenne les armes : c’est la guerre ; qu’on s’ignore : c’est la solitude ; qu’on grogne comme l’ours, qu’on rugisse comme le lion, qu’on hurle comme le loup, quand on ne se parle plus, on est ravalé à notre nature animale. Parler, c’est sortir du bois. Se risquer à découvert. S’engager. Se reconnaître comme être humain et entre être humains. Parler c’est une responsabilité, c’est notre responsabilité. Faire le choix de parler plutôt que de rester sur son quant-à-soi bien commode, c’est prendre ses responsabilités.

Je crois à la force des mots, à la force que donnent les mots. Certes, il ne suffit pas de parler. Une fois que l’on a parlé, il faut agir. Mais il faut commencer par parler. Les vœux que nous échangeons, il ne tient qu’à nous qu’ils ne restent pas tous lettres mortes. Sur certains points, il est vrai, nous n’avons pas beaucoup de prise. Mais il y a tous les autres. Et cela laisse de quoi faire.

Je forme donc pour nous-mêmes plusieurs vœux qui feront, je l’espère, écho à vos propres préoccupations ou engagements :

Je forme le vœu que nous chassions bien loin de nous la morosité, la lassitude, le désabusement, la sinistrose, comme on dit. Au proverbe serbe « Notre passé est sinistre, notre présent est invivable, heureusement que nous n’avons pas d’avenir ! », je préfère de loin me répéter et répéter que le pire n’est jamais certain et, comme le poète, que notre printemps est un printemps qui a raison.

Je forme le vœu que nous ne nous découragions jamais de combattre tous les déterminismes, tous les fatalismes, tous les défaitismes, tous les pessimismes. C’est la fonction même de l’Ecole. Il n’y a pas d’impossibilité radicale. Tout jeune est éducable. Tout être humain est perfectible. Quel que soit son passé, tout humain, et a fortiori tout jeune, a un avenir à construire, qui pourra être autre chose que la pure reproduction de ce que l’on a fait et obtenu dans sa famille, de ce qu’il a lui-même fait et obtenu l’année précédente.

Nous n’avons pas le droit, en tant qu’éducateurs, d’être pessimistes. On croit que le pessimisme est un réalisme. C’est faux. C’est un tempérament, qu’il nous faut combattre, car c’est parfois une paresse. A quoi bon commencer à faire quelque chose si l’on pose à l’avance que l’on n’y arrivera pas ? Contre cela, la sagesse des nations a pourtant tranché. Je me répète souvent à moi-même (et je suggère que nous sachions nous répéter à nous-mêmes) cette phrase que l’on m’a apprise quand j’étais enfant qu’il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.

Je forme donc le vœu que nous soyons optimistes. Et l’optimisme, c’est un choix de la volonté. Nous nous devons à nous-mêmes et nous devons à nos élèves d’être optimistes.

Je forme également le vœu que nous soyons ambitieux pour nous-mêmes et pour nos élèves, que nous osions rêver le meilleur pour nous et pour eux, que nous ne nous contentions pas de peu, au sens où nous nous résignerions à avoir peu.

Je forme le vœu, en revanche, que nous sachions nous contenter de peu, au sens où nous saurons tirer un maximum de contentement du peu que nous aurons, sachant que nous nous emploierons par ailleurs à obtenir le maximum.

Je forme le vœu que nous sachions être exemplaires pour nos élèves, que nous n’ayons pas envers eux des exigences que nous nous dispenserions d’avoir envers nous-mêmes : nous nous disqualifierions à leurs yeux, et n’aurions plus de crédibilité pour leur demander quoi que ce soit.

Je forme le vœu qu’au-delà des savoirs et savoir-faire que nous dispensons à nos élèves, nous continuions à défendre ensemble auprès des jeunes les valeurs de solidarité, de fraternité, de générosité humaine qui sont le fondement de notre commune humanité mais aussi, et c’est ce qui fait sa grandeur, de notre République.

Je forme le vœu que cet engagement qui doit être le nôtre nous sachions le parer de couleurs éclatantes, qui donnent aux jeunes envie d’y croire et qui fassent comprendre à chacun la foi en l’humanité et en l’humanisme qui est la nôtre en tant qu’éducateurs. De cette foi, oui, il faut que nous soyons prosélytes. C’est pour cela que j’ai annoncé il y a quelque temps que j’allais proposer au Conseil d’administration d’appeler notre hôtel, l’hôtel Nelson Mandela. Il me semble que le haut-patronage de ce très grand homme est de nature à signifier fortement les valeurs que nous voulons, parce que nous travaillons dans et pour l’Education nationale au bénéfice de la jeunesse, les valeurs que nous voulons faire vivre. Cela me semble être un antidote puissant à des attitudes ou à des propos nauséabonds et poisseux qui ont cette année passée envahi notre espace public. Je pense au fait que le Président de la République ait dû supporter des sifflets le jour d’une commémoration nationale, sifflets qui ont donc insulté tous les citoyens que nous sommes, et nous ont navrés de leur mépris et de leur ignorance. Je pense aux propos écœurants et aux attitudes indignes qu’a dû essuyer la Ministre de la Justice. Je pense à cette polémique du moment dite de la quenelle.

Deux mots là-dessus si vous me permettez, car cela me met en colère. Comment un geste qui est en lui-même une injure d’une violence et d’une vulgarité inouïe, en plus d’être d’une bêtise insondable et un crime contre la mémoire, comment ce geste peut-il être repris tout aussi bonnement par des jeunes qui ne savent pas ce qu’ils font ? Je ne pense pas à ces personnages douteux qui usent de la mansuétude parfois coupable de notre démocratie pour inciter tous les jours à la haine, ni à ces footballeurs décérébrés qui prétendent manifester leur opposition à un système dont ils profitent par ailleurs honteusement, je pense à ces jeunes d’une classe de BTS de Nancy, peut-être en avez-vous entendu parler, qui font une photo de classe où chacun reproduit ce geste et la diffusent comme un trophée sur internet ; je pense à ces malheureux serveurs d’une boîte de nuit lyonnaise, des serveurs, oui, qui sont à l’origine du rebondissement actuel de cette polémique, en n’ayant rien trouvé de mieux que de se faire photographier faisant le geste et là aussi d’envoyer ce beau triomphe sur tous les réseaux sociaux sans en comprendre du tout la portée. J’imagine qu’ils avaient bien appris à être des serveurs, ces jeunes gens, mais fort mal appris à être des citoyens responsables.

Cela me conforte si besoin était dans l’idée que le plus important à l’Ecole, c’est d’éduquer, c’est d’illustrer et de défendre nos valeurs, c’est d’apprendre l’histoire, de faire comprendre le sens des mots et des gestes, d’ouvrir l’esprit, de nourrir l’intelligence, d’apprendre que tout ne se vaut pas, que ce n’est pas parce qu’on est en démocratie que la pire des crapuleries a droit de cité, que certaines opinions sont des délits.

Je forme le vœu que nous soyons prêts à nous battre collectivement pour augmenter nos droits, je ne parle pas de nos intérêts, je parle bien de nos droits, je parle des droits de l’Homme. J’ai trouvé, je dois vous le dire, consternant, cette année, que des foules entières se mobilisent pour empêcher une certaine partie de la population d’accéder à un droit nouveau. Comme on serait efficace, ensemble, si l’on savait se mobiliser positivement pour notre liberté et notre égalité à tous !

Je forme le vœu que nous sachions montrer aux jeunes qui nous sont confiés que tout ne se vend pas, que l’on peut envisager de donner, que l’on peut choisir d’être bénévole, volontaire, généreux de soi et de son temps, que l’on peut s’engager pour l’intérêt collectif sans autre retour que la satisfaction de participer pleinement, à sa petite place, à l’aventure humaine.

Je forme le vœu que nous qui sommes des fonctionnaires nous sachions montrer à nos élèves l’humilité qu’il faut pour accepter de n’être, modestement, qu’un élément d’un tout (mais un élément qui permet au tout de fonctionner !), et que nous sachions montrer à ces mêmes élèves la grandeur de servir.

Je forme le vœu que nous ne renoncions jamais à être à la hauteur de nos espérances et d’abord à la hauteur de nous-mêmes.

Pour notre établissement, je forme le vœu qu’il devienne ce qu’on a espéré qu’il serait : un lieu d’excellence pour tous et pour chacun, un lieu reconnu, qui ait toute sa place dans le paysage des écoles qu’on dit grandes, un lieu qui deviendra une véritable marque, une marque qui portera ses valeurs en drapeau. Pour notre établissement, je forme aussi le vœu qu’il arbore enfin fièrement la devise de la République à son fronton. Je l’avais souhaité le jour de son inauguration. La loi maintenant le demande. Je pense que nous devrions y arriver !

Pour nous-mêmes, je nous souhaite de bien savoir vivre ensemble, au-delà de nos différences et de nos divergences, parce que nous sommes mus par les mêmes idéaux, j’en suis sûr, pourvu que nous regardions l’essentiel. Et à ce pourvu, c’est à nous de pourvoir.

Mesdames et Messieurs, je vous souhaite une bonne année.

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